
Maître Amaury Ayoun est avocat en droit bancaire. Il est régulièrement l’avocat de victimes d’arnaque ou fraude bancaire, et notamment d’arnaques financières.
En période de crise, les fraudes à l’investissement et aux autres placements financiers (ou arnaques financières) se multiplient. Ces escroqueries dont l’objectif est de faire miroiter des promesses de rendements élevés et rapides connaissent une forte recrudescence. Qu’il s’agisse de Forex, d’options binaires, de place de marchés fictif, de plateforme de trading en ligne, d’investissements dans les diamants ou l’or, et désormais d’investissement dans les cryptomonnaies ou « crypto-actifs », le schéma de ces arnaques est souvent similaire.
Les escrocs parviennent au moyen de manipulations parfois très sophistiquées (création de plateformes en ligne fictives mais fonctionnelles, duplique de site internet de banques (Revolut dernièrement par exemple) etc …) à soutirer des fonds leurs victimes. Après être parvenu à convaincre des victimes de procéder à des virements, les escrocs s’assurent ensuite de faire durer la supercherie le plus longtemps possible jusqu’à ce qu’une demande de retrait ou de règlement des bénéfices tirés de l’opération soit formulée par l’investisseur trompé.
Entre-temps, les sommes ont le plus souvent été virées sur des comptes dans des banques à l’étranger (généralement au sein de l’Union Européenne : Espagne, Portugal, Belgique …), immédiatement vidés et clôturés par les escrocs.
Les sommes se sont souvent volatilisés depuis un moment avant que les victimes puissent tenter de procéder à des tentatives de retour des fonds (recall) efficaces avec leur propre banque.
Si la plainte pour escroquerie est toujours envisageable, les auteurs ne sont pas toujours appréhendés par la justice française. Les victimes en mal d’indemnisation se retournent donc souvent contre leur propre établissement bancaire qui n’a pas su détecter les anomalies des opérations portant sur des sommes parfois très élevées réalisées sur leur compte afin d’être indemnisé.
Selon la jurisprudence qui se dessine auprès des juridictions du fond, les victimes peuvent également rechercher la responsabilité de la banque étrangère destinataire des fonds et la faire comparaître en France.
I – LA RESPONSABILITÉ DE LA BANQUE POUR MANQUEMENT AU DEVOIR DE VIGILANCE :
En principe, le banquier teneur de compte est tenu par un devoir de non-ingérence (ou de non-immixtion) dans les affaires de ses clients. Toutefois, dans certaines circonstances, le banquier a l’obligation de s’immiscer dans les affaires de ses clients et procéder à des vérifications.
Le devoir de vigilance, de nature contractuelle, s’impose notamment en présence d’opérations dont l’illicéité ressort d’une « anomalie apparente »[1]. La jurisprudence distingue habituellement des anomalies matérielles et intellectuelles.
S’agissant d’un virement, il conviendra surtout d’être attentif aux secondes et étudier l’activité habituelle du compte, la fréquence des opérations, leur montant, leur destination, les circonstances qui les précèdent, les éventuels échanges entre l’usager bancaire et le teneur de compte.
La matière étant très casuistique, l’éventuelle responsabilité de la banque ne peut pas toujours être retenue.
On fera encore observer que cette responsabilité peut parfois être aussi recherchée par le droit spécial issu de l’article 88 de la Directive (UE) 2015/2366 (« DSP2 ») selon lequel « le prestataire de services de paiement du payeur s’efforce, dans la mesure du raisonnable, de récupérer les fonds engagés dans l’opération de paiement. Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire coopère à ces efforts également en communiquant au prestataire de services de paiement du payeur toutes les informations utiles pour récupérer les fonds. Au cas où il n’est pas possible de récupérer les fonds comme prévu au premier alinéa, le prestataire de services de paiement du payeur fournit au payeur, sur demande écrite, toutes les informations dont il dispose et qui présentent un intérêt pour le payeur afin que celui-ci puisse introduire un recours devant une juridiction pour récupérer les fonds.», transposée en droit français à l’article L. 133-21 du Code monétaire et financier.
Le SEPA Credit Transfer Scheme Rulebook adopté par le Conseil européen des paiements précise à l’article CT 02.03 que « la banque du bénéficiaire doit traiter le recall dès réception de la requête et transmettre une réponse positive ou négative dans les 15 jours ».
Dans ces conditions, un arrêt récent de la Cour d’appel d’Agen a pu condamner la banque de la victime pour un recall tardif et la banque du bénéficiaire pour ne pas avoir communiqué les informations utiles à un recours[2].
II – LA COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES POUR CONNAÎTRE DE LA RESPONSABILITÉ DES BANQUES ÉTRANGÈRES :
Par ailleurs, l’idée que les destinataires des fonds, souvent des établissements bancaires situés à l’étranger, sont aussi responsables se propage devant les juridictions françaises qui ont dû se prononcer sur leur compétence.
En l’absence de lien contractuels avec les établissements destinataires des fonds, les victimes avaient un temps cherché à engager la responsabilité extracontractuelle des banques étrangères pour manquement à leur devoir de vigilance et retenir la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l’article 7 du Règlement (UE) n°1215/2012 dit « Bruxelles I Bis » du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, lequel dispose qu’ « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre: (…) 2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ; ».
Les juridictions se sont toutefois montrées réticentes à employer ce fondement pour retenir la compétence des juridictions françaises afin de connaître la responsabilité d’un établissement bancaire étranger[3], notamment parce que le dommage se matérialise dans les livres de la banque étrangère[4].
Les juridictions du fond semblent désormais préférer, sous certaines conditions, le fondement de l’article 8 du Règlement Bruxelles I Bis lequel dispose que :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :
1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément;
2) s’il s’agit d’une demande en garantie ou d’une demande en intervention, devant la juridiction saisie de la demande originaire, à moins qu’elle n’ait été formée que pour traduire celui qui a été appelé hors du ressort de la juridiction compétente ; (…) »
Selon ce texte, en cas de pluralités de défendeurs domiciliés dans différents États, il est possible de retenir la compétence du tribunal de l’un d’entre eux en cas de demande connexe.
Dans de nombreuses affaires dont elles ont été saisies, la Cour d’appel de Paris[5] ainsi que le tribunal judiciaire de Paris[6] ont par exemple estimé les conditions de cet article réunies lorsque les victimes assignent en responsabilité pour manquement à leur devoir de vigilance les banques françaises et les banques étrangères destinataires des fonds.
Le devoir de vigilance mobilisé par les demandeurs dans ces décisions n’est pas celui de nature contractuelle précédemment exposé mais celui issu des Directives européennes relatives à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme communes aux États membres.
On suppose que le raisonnement pourrait également être transposé à l’obligation commune de coopération pour récupérer les fonds engagés dans l’opération de paiement, obligation figurant à l’article 88 Directive (UE) 2015/2366 (« DSP2 »), précédemment exposée.
S’agissant de la Loi applicable toutefois, on relèvera que l’article 4.1 du Règlement n°864/2007 CE du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, dit « Rome II » dispose que :
« Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »
Si comme pour l’article 7 du règlement Bruxelles I Bis précité, le lieu de survenance du dommage retenu est celui de la banque étrangère qui a reçu les fonds, la loi étrangère pourrait être retenue applicable. En ce sens, la Cour d’appel de Paris après s’être déclarée compétente avait par exemple retenu applicable la loi espagnole dont l’article 1968 du Code civil espagnol dispose que l’action en responsabilité extracontractuelle se prescrit par un an[7] … et une victoire à la Pyrrhus pour le demandeur qui après avoir réussi à faire reconnaître la compétence d’un tribunal français, se révèle avoir agi hors délai !
À l’inverse, les Cours d’appel de Montpellier[8] et de Pau ont pu retenir l’application de la loi française après avoir considéré que le dommage s’était matérialisé lorsque les victimes s’étaient dessaisis des fonds[9]. Dans ce dernier cas, la Cour d’appel de Pau a cependant fait observer que la faute des banques étrangères doit être examinée à la lumière des règles de sécurité et de comportement du droit étranger en vigueur à la date du fait dommageable, conformément au considérant 36 et à l’article 17 du Règlement Rome II.
S’il semble aujourd’hui possible d’attraire les banques étrangères en France, les problématiques que suscitent leur assignation devant les tribunaux français ne sont donc pas épuisées …
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Les arnaques financières ne manquent pas d’alimenter la jurisprudence qui n’a pas fini de répondre aux nombreuses questions que génèrent ce contentieux qui s’est considérablement accru ces derniers mois.
Notre cabinet d’avocat suit de près l’évolution de cette jurisprudence à laquelle il participe activement afin que les victimes de fraudes financières puissent prétendre à l’indemnisation la plus élevée.
Vous pouvez joindre notre cabinet par téléphone au 04 84 25 40 95 ou par mail : avocat@amauryayoun.com
[1] Cass. com., 3 janv. 1977, n° 75-11.853 ; Bull. civ. IV, n° 2 ; Cass. com., 15 nov. 2016, n° 15-14.133 ; Cass. com., 25 sept. 2019, n° 18-15.965 ; Cass. com., 15 juin 2022, n° 21-10.080.
[2] CA Agen, 5 juill. 2023, n°22/00694, LPA déc. 2023, n° LPA202q9, obs. J. Lasserre Capdeville
[3] CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 15 juin 2023, n° 22/13206, Banque et Droit 2023, n° 210, juill.-août, p. 68, note. J. Chacornac ; Cass. civ. 1ère, 15 juin 2022, n° 21-10742, B ;
[4] Cass. civ. 1ère, 14 févr. 2024, n°22-22.909, Inédit ;
[5] CA Paris, Pôle 5, ch. 6, 29. nov. 2023, RG n°23/05206 ; CA Paris, Pôle 5, ch. 6, 3 juill. 2024, RG n°23/1850 ; en ce sens également Cour d’appel de Rennes, 4 juin 2024, RG n° 23/06068
[6] TJ Paris, 9ème ch., 3ème sect., 15 mars 2024, RG n°23/08211
[7] CA de Paris, Pôle 5, ch. 6, 3 avr. 2024, RG n° 23/14293 ;
[8] CA Montpellier, 4ème ch., 4 avr. 2024, RG n°22/00124
[9] CA Pau, 23 mai 2023, 2ème Ch. – Sect. 1 RG n°21/02476
