[Procédure civile] Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant « simplification » de la procédure d’appel en matière civile : pas si simple !

Le Garde des Sceaux avait promis de retoucher la procédure d’appel et notamment de « desserrer les délais de procédures prévus [des décrets Magendie], dont la rigidité pénalise les avocats et les justiciables »[1]. Aux dernières nouvelles, les erreurs réalisées lors d’une procédure d’appel seraient en effet la première cause de sinistre de la profession  d’avocat.

Par un beau dimanche 31 décembre 2023, le Journal Officiel pourrait enfin exaucer les souhaits des avocats puisque la livraison du jour contient un Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile  dont l’intitulé est prometteur.

Qu’en est-il réellement ? Si l’on constate effectivement quelques « simplifications » (I), le Décret souffre comme souvent en matière de procédure civile d’un excès de zèle, de nature à complexifier inutilement la tâche des avocats[2]  (II). La suspicion d’élaboration de nouveaux chausses-trappes à leur intention est malheureusement tenace … 

Nos propos ne se limiteront ici qu’aux modifications apportées à la procédure ordinaire, qui entreront en vigueur le 1erseptembre 2024, pour  les instances d’appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation, avec saisine à compter de cette même date.

I – LA SIMPLIFICATION DE LA PROCÉDURE D’APPEL :

On observe que la plupart des dispositions ont été réécrites afin d’apporter de plus de clarté à l’ensemble. 

On note par exemple l’apparition de paragraphes qui viennent rompre l’alignement de dispositions techniques de la procédure d’appel. S’agissant de la sous-section consacrée à la procédure ordinaire, celle-ci est désormais divisées en plusieurs paragraphe : Paragraphe 1 :  La déclaration d’appel et la constitution d’avocat » ; Paragraphe 2 « L’orientation de l’affaire » ; Paragraphe 3 « La procédure à bref délai » ; Paragraphe 4 « La procédure avec mise en état » ; Paragraphe 5 « Dispositions communes à la procédure à bref délai et à la procédure avec mise en état ». L’avancée n’est certes pas majeure mais bienvenue.

A – LES POUVOIRS DU CONSEILLER DE LA MISE EN ÉTAT CIRCONSCRITS :

Plus concrètement, le fond rejoint aussi la forme puisque désormais un sous-paragraphe 2 au paragraphe 4 est consacré aux « attributions du conseiller de la mise en état ». Son contenu est loin d’être anecdotique. 

Avec les nouvelles dispositions, les pouvoirs du conseiller de la mise en état ne procèdent plus par renvoi aux règles d’instruction devant le juge de la mise en état du tribunal judicaire (article 780 à 807 du Code de procédure civile). 

L’article 907 du Code de procédure civile disposait en effet : « A moins qu’il ne soit fait application de l’article 905, l’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 780 à 807 et sous réserve des dispositions qui suivent. »

Ce renvoi aux dispositions relatives aux compétences du juge de la mise en état était de nature à susciter de nombreuses interrogations, notamment celle de savoir qui du conseiller de la mise en état ou de la formation collégiale de la cour d’appel était compétent pour connaître de la recevabilité de demandes nouvelles [3].

Le nouvel article 913-5 du Code de procédure civile,  pendant de l’actuel article 914 du Code de procédure civile, fixe la compétence exclusive du conseiller de la mise en état pour :

  • prononcer la caducité de « la déclaration d’appel » (et non plus de « l’appel »)
  • déclarer l’appel irrecevable
  • déclarer les conclusions irrecevables en application des articles 909 et 910 (lorsque les délais pour conclure n’ont pas été respectés).
  • déclarer les actes de procédure irrecevables en application de l’article 930-1 (« A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique. »

Au regard de la précédente version, le conseiller de la mise en état est désormais « explicitement » compétent pour :

  • « « 5° Statuer sur les exceptions de procédure relatives à la procédure d’appel, les demandes formées en application de l’article 47, la recevabilité des interventions en appel et les incidents mettant fin à l’instance d’appel ;
  • « 6° Allouer une provision pour le procès ;
  • « 7° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le conseiller de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5, 517 et 518 à 522 ;
  • « 8° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;
  • « 9° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction. Le conseiller de la mise en état contrôle l’exécution des mesures d’instruction qu’il ordonne, ainsi que de celles ordonnées par la cour, sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l’article 155. Dès l’exécution de la mesure d’instruction ordonnée, l’instance poursuit son cours à la diligence du conseiller de la mise en état ; (…)»

Le conseiller de la mise en état est donc désormais cantonné à son rôle de juge de la procédure d’appel et n’a donc plus prétention à connaître de toutes fins de non recevoir.

L’article 913-6 détaille d’ailleurs le programme de l’article 913-5, 5° du Code de procédure civile :

« Les ordonnances du conseiller de la mise en état ont autorité de la chose jugée au principal relativement à la contestation qu’elles tranchent lorsqu’elles statuent sur :

  • 1° Une exception de procédure relative à la procédure d’appel ;
  •  2° La recevabilité des interventions en appel ; 
  • 3° Un incident mettant fin à l’instance d’appel ; 
  • 4° La recevabilité de l’appel ; 
  • 5° La caducité de la déclaration d’appel ;
  • 6° L’irrecevabilité des conclusions et des actes de procédure en application des articles 909, 910, et 930-1. »

Du reste, les pouvoirs du conseiller de la mise en état sont explicitement détaillés s’agissant des pouvoirs d’instruction similaires à ceux du juge de la mise en état (Art. 913-2 ; 913-3 ;  913-5, 6° à 10° du Code de procédure civile).

B – LES CONCLUSIONS PEUVENT COMPLÉTER, RETRANCHER OU RECTIFIER LES CHEFS DU DISPOSITIF DU JUGEMENT CRITIQUES DE LA DECLARATION D’APPEL :

La déclaration d’appel contient à peine de nullité, rappelons-le, « les chefs du dispositif du jugement »[4] expressément critiqués auxquels l’appel est limité. 

Si le praticien oublie de mentionner les chefs du dispositif de jugement dans sa déclaration d’appel, « sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement », la déclaration d’appel est bien entendu nulle selon l’article 901 du Code de procédure civile.

De surcroît, sanction impitoyable, l’effet dévolutif n’opère pas selon la Cour de cassation, la cour  d’appel n’est donc pas saisie (Cass. civ. 2ème, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Publié au bulletin)

Une possibilité de régulariser une déclaration incomplète semble véhiculée par le nouvel article 915-2, alinéa 1er du Code de procédure civile dispose que « L’appelant principal peut compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908, les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel. La cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent. »

Encore faut-il donc avoir initialement mentionné des chefs de dispositif dans la déclaration d’appel. 

Cette nouvelle disposition pourrait cependant être la nouvelle cause de tous les maux chez les praticiens (II)

C – LES DÉLAIS DE LA PROCÉDURE À BREF DÉLAI SONT DOUBLÉS :

Une autre avancée notable est l’augmentation des délais lorsque l’affaire est fixée à bref délai.

Lorsque l’affaire est fixée à bref délai, un avis de fixation est adressé à l’appelant qui doit dans les 10 jours de la réception signifier la déclaration d’appel à l’intimé à peine de caducité de la déclaration d’appel. Ce délai est désormais porté à 20 jours …  (nouvel article 906-1 du Code de procédure civile).

Par ailleurs, les délais pour conclure sont également doublés : « l’appelant dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe » (nouvel article 906-2 du Code de procédure civile). Les délais sont identiques pour l’intimé.

D – LA DISPENSE FALCULTATIVE DE PLAIDIOIRIE EN PROCÉDURE À BREF DÉLAI :

Dans le registre des « simplifications », on pourra inclure le nouvel article 906-5 alinéa 2 et 3 du Code de procédure civile, lequel dispose que le Président ou le magistrat désigné par lui peut «  à la demande des avocats des parties, et après accord, le cas échéant, du ministère public, autoriser le dépôt des dossiers au greffe de la chambre à une date qu’il fixe, quand il lui apparaît que l’affaire ne requiert pas de plaidoiries.  Il peut, à moins que les avocats des parties ne s’y opposent, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries. Il en rend compte à la cour dans son délibéré. (…)»

On comprend que ce nouvel empiètement[5] (certes facultatif) sur le temps de parole des avocats est motivé par une conduite plus rapide de la procédure … L’enfer est pavé de bonnes intentions !

II – LES NOUVEAUX INSTRUMENTS DE TORTURES DE LA PROCÉDURE D’APPEL :

A – L’OBJET DE L’APPEL : CHOISIR ET RENONCER ?

La déclaration d’appel doit désormais aussi contenir à peine de nullité « 6° L’objet de l’appel en ce qu’il tend à l’infirmation ou à l’annulation du jugement » (nouvel article 901 du CPC).

Jusqu’alors, comme l’a observé la Cour de cassation, « aucune (…) disposition n’exige que la déclaration d’appel mentionne, s’agissant des chefs de jugement expressément critiqués, qu’il en est demandé l’infirmation. » (ou l’annulation) (Cass. civ. 2ème, 25 mai 2023, n° 21-15.842 ; Publié au Bulletin).

L’appelant devait cependant solliciter formellement dans le dispositif de ses premières conclusions l’infirmation ou l’annulation du jugement (Cass. civ. 2ème, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 ; Publié au Bulletin), la « sanction » étant que  « lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. ». La Cour de cassation le déduisait d’une lecture croisée des articles 542 et 954 du Code de procédure civile[6].

Les avocats auront donc désormais le seul délai d’appel (d’un mois) pour déterminer si l’appel tend à l’infirmation ou à l’annulation. Dans la pratique, cela peut se révéler rapidement problématique (par exemple en cas de succession de dossier …).

On observe toutefois que la possibilité de recourir à une déclaration d’appel subsidiaire est admise par la Cour de cassation (Cass. civ. 2ème, 8 juin 2023, n° 21-22.263 ; Publié au Bulletin), « il est loisible à un appelant de faire, dans la même déclaration d’appel, un appel-nullité principal et un appel-réformation subsidiaire ».

Au regard de cette modification, et bien que ces dispositions ne soit applicables qu’en septembre 2024, on ne saurait que trop recommander aux praticiens de se plier aux nouvelles exigences, qu’un revirement de la Cour de cassation pourrait appliquer par anticipation au moyen des textes anciens. La pratique est malheureusement courante …

B – CONTENU DES CONCLUSIONS : VIGILANCE ACCRUE !

L’article 954 du Code de procédure civile fait l’objet d’un « toilettage ». Le second alinéa dispose désormais  que  « Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions ».

L’article pose par écrit l’exigence jurisprudentielle de demander l’annulation ou l’infirmation dans le dispositif des conclusions d’appelant. 

La réelle nouveauté est l’obligation d’énoncer les chefs du dispositif du jugement critiqué dans le dispositif des conclusions d’appelant (et d’appelant incident).

Si la déclaration d’appel porte l’effet dévolutif (comme indiqué plus haut, les chefs de dispositif du jugement doivent y figurer, sans quoi la Cour n’est pas saisie), il faudra demeurer vigilant quant au respect de cette nouvelle obligation. L’article 915-2, alinéa 1er du Code de procédure civile dispose que « L’appelant principal peut compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions (…), les chefs du dispositif du jugement ».

Mécaniquement, une lecture croisée des nouveaux articles 915-2 et 954 du Code de procédure civile permettrait de déduire que si l’appelant n’a pas énoncé les chefs du dispositif du jugement critiqués dans ses premières conclusions d’appelant (et des suivantes aussi) c’est qu’il les a retranché ! 

C – LE CALENDRIER DE PROCÉDURE : LE RISQUE DE RADIATION.

Alerté par la lenteur des délais des procédures d’appels, les rédacteurs du Décret offrent la possibilité au conseiller de la mise en état de fixer un calendrier si l’affaire nécessite de nouveaux échanges de conclusions après l’expiration des délais initiaux.

Cependant, « Les délais fixés dans le calendrier de la mise en état ne peuvent être prorogés qu’en cas de cause grave et dûment justifiée ».

Surtout, « Si les parties s’abstiennent d’accomplir les actes de la procédure qui leur incombent dans les délais fixés par ce calendrier, le conseiller de la mise en état peut, d’office, après avis donné à leur avocat, prendre une ordonnance de radiation motivée non susceptible de recours. » (Nouvel article 912 du Code de procédure civile).

Il y a lieu de se questionner sur le cas de figure dans lequel l’intimé persiste sciemment à ne pas « accomplir les actes de la procédure qui leur incombent dans les délais fixés ». Le conseiller de la mise pourrait-il prendre une ordonnance de radiation ? On note que la dite ordonnance doit être « motivée », ce qui devrait, nous semble t-il, préserver les intérêts de l’appelant face au comportement dilatoire de l’intimé …

On craint que la mise en place de ce calendrier dont l’objectif est la célérité ne devienne, comme souvent en matière d’appel, un instrument d’évacuation des dossiers …

***

Maître Amaury AYOUN, avocat au Barreau de Marseille intervient régulièrement devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence et assure la bonne conduite de vos procédures d’appel, postulation devant la cour d’appel dont il connaît les nombreux chausses-trappes et les usages locaux …

Pour obtenir de plus amples informations, vous pouvez nous joindre :  

  • par téléphone : 0484254095 

Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à consulter notre site internet : http://www.amauryayoun.com


[1] A. DUMOURIER, « Eric Dupond-Moretti dévoile son plan d’action pour la justice », Le Monde Du Droit  5 janvier 2023,  https ://www.lemondedudroit.fr/institutions/85209-eric-dupond-moretti-devoile-plan-action-justice.html

[2] On se remémorera le Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile ; dont l’un des objectifs affiché était aussi la simplification …

[3] M. BARBA, « Qui connaît de la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel ? », Dalloz actualité, 13 mai 2022 ;  Th. LE BARS, « La compétence du conseiller de la mise en état pour prononcer l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel » , Dalloz actualité, 7 juill. 2022.

[4] et non plus « les chefs du jugement » dans la rédaction antérieure au Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023.

[5] Dans un sens similaire devant le tribunal judiciaire, on se rappelle l’article L. 212-5-1, al. 1 du Code de l’organisation judiciaire introduit par l’Ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019 prise en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : « Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite. ».

[6] Le premier dispose que : « l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel ».

Le second, dispose notamment à ses alinéas 3 et 5, « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. (…) La partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance. ».

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