
Avocat à Marseille, Maître Amaury AYOUN intervient en défense des investisseurs, dans des contentieux liés à la responsabilité du conseiller en gestion de patrimoine, à raison d’un défaut de conseil, de placements risqués ou de pertes financières
Le conseiller en gestion de patrimoine (CGP) prodigue une variété de conseils relatifs à la transmission de patrimoine, l’optimisation fiscale en proposant diverses solutions : souscription d’une assurance-vie, opérations de défiscalisation (Girardin), investissement locatifs (Pinel, Malraux, Denormandie ou Monuments Historiques), parts de Sociétés Civiles de Placement Immobilier (SCPI), Plan d’Épargne en Actions (PEA), investissement en actions, ETF, OPCVM, etc …
L’appellation « conseiller en gestion de patrimoine » ne correspond toutefois à aucun statut juridique reconnu par la Loi[1] et recouvre plusieurs statuts professionnels parmi lesquels ceux d’intermédiaires en assurance (IA), d’intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) et de conseiller en investissement financier (CIF), que les CGP cumulent le plus souvent.
Ce dernier statut intéressera plus particulièrement la présente étude, notamment parce que selon la commission des sanctions de l’AMF le régime de l’activité du CIF s’étend à toutes ses autres activités non réglementées de CGP[2].
Il en résulte donc une certaine confusion lorsqu’il s’agit d’agir en responsabilité contre un conseiller en gestion de patrimoine (CGP) dont le régime obéit tant à des règles de droit commun qu’à des règles spéciales du droit des services d’investissement (que les décisions de justice mentionnent d’ailleurs rarement)[3].
Naturellement, un juriste averti subodore une nécessaire obligation de « conseil », qu’infère le service proposé par le CGP, lequel est débiteur une myriade d’obligations (s’informer, informer, conseiller, mettre en garde etc …) dont les intensités et les modalités varient selon les services proposés, et que les juridictions tendent parfois à confondre, ce qui ne facilite pas la compréhension des observateurs les plus avertis.
Le conseil en investissement est un service d’investissement[4]. Le conseil en investissement est l’activité qui consiste à « fournir des recommandations personnalisées à un tiers, soit à sa demande, soit à l’initiative de l’entreprise qui fournit le conseil, concernant une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers »[5]. Les instruments financiers regroupent, en vertu de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier, les titres financiers (titres de capital émis par les sociétés par actions, titres de créance, parts ou actions d’organismes de placement collectif (OPC) et les contrats financiers (les « également dénommés “instruments financiers à termes“ »[6]).
L’article 9 du règlement délégué (UE) n°2017/565 précise, d’une part, que la recommandation est personnalisée « lorsqu’elle est adressée à une personne en sa qualité d’investisseur ou d’investisseur potentiel, ou en sa qualité d’agent d’un investisseur ou investisseur potentiel », c’est-à-dire « adaptée à cette personne, ou fondée sur l’examen de la situation propre à cette personne » et, d’autre part, lorsqu’elle porte sur une opération relative à « l’achat, la vente, la souscription, l’échange, le remboursement, la détention ou la prise ferme d’un instrument financier particulier ».
Un agrément délivré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) est en principe exigé pour fournir des services d’investissement.
Toutefois, une dérogation existe et autorise les conseillers en investissements financiers (CIF) à fournir des services d’investissement sans être soumis à la procédure d’agrément[7]. Ces conseillers en investissements financiers sont néanmoins enregistrés auprès d’une association agréée, laquelle élabore un code de conduite que doit approuver l’Autorité des marchés financiers auxquels sont soumis leurs membres.
Les conseillers en investissements financiers sont les personnes exerçant à titre de profession habituelle trois d’activité selon l’article L. 541-1 du Code monétaire et financier :
– le conseil en investissement bien entendu,
– mais encore le conseil portant sur la fourniture de services d’investissement,
– ainsi que le conseil portant sur la réalisation d’opérations sur biens divers : souscription de rentes viagères, acquisition des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers, « lorsque les acquéreurs n’en assurent pas eux-mêmes la gestion ou lorsque le contrat leur offre une faculté de reprise ou d’échange et la revalorisation du capital investi »[8].
Ils peuvent encore « recevoir aux fins de transmission des ordres pour le compte d’un client auquel ils ont fourni une prestation de conseil », ainsi qu’« exercer d’autres activités de conseil en gestion de patrimoine »[9].
Pris sous le prisme du conseiller en investissements financier, le conseil en gestion de patrimoine est tenu par plusieurs obligations de droit spécial, et de droit commun.
I – LES OBLIGATIONS DU CONSEILLER EN GESTION DE PATRIMOINE :
A – Les règles de conduites du conseiller en investissements financiers :
Les conseillers en investissements financiers obéissent à plusieurs règles de conduites :
Ils doivent tout d’abord « Agir d’une manière honnête, loyale et professionnelle, servant au mieux les intérêts des clients » (article L541-8-1, 1° du Code monétaire et financier). Il leur incombe de « proposer une offre de service adaptée et proportionnée » aux besoins et objectifs de leurs clients (Article L. 541-8-1, 2° du Code monétaire et financier).
Ils ont plus précisément une obligation de s’informer sur leur client « avant de formuler un conseil » que leur impose l’article L. 541-8-1, 4° du Code monétaire et financier : il est question de se procurer « les informations nécessaires concernant leurs connaissances et leur expérience en matière d’investissement en rapport avec le type spécifique d’instrument financier, d’opération ou de service, leur situation financière et leurs objectifs d’investissement, de manière à pouvoir leur recommander les opérations, instruments financiers et services d’investissement adaptés à leur situation ».
Selon le même article, ils sont même tenus d’une obligation de s’ « abstenir » dans le cas où les clients ne communiquent pas les informations requises.
S’agissant toujours de l’obligation de s’informer sur le client, le conseiller en investissements financiers doit se procurer « les informations nécessaires concernant leur capacité à subir des pertes et leur tolérance au risque » afin de pouvoir leur recommander les instruments financiers et services d’investissement adéquats.
Il est donc expressément exigé, si cela n’était pas évident, qu’ils veillent à « comprendre les instruments financiers qu’ils proposent ou recommandent, évaluer leur compatibilité avec les besoins des clients (…) et (…) à ce que les instruments financiers ne soient proposés ou recommandés que lorsque c’est dans l’intérêt du client » (article L. 541-8-1, 6° du Code monétaire et financier).
Afin d’assurer un conseil d’investissement indépendant, les conseillers doivent, d’une part, évaluer un éventail suffisant d’instruments financiers disponibles sur le marché conforme aux objectifs d’investissement de leurs clients avant de donner le conseil, et ils ne peuvent pas, d’autre part, accepter des rémunérations, commissions ou autres avantages monétaires ou non monétaires d’un tiers, en raison de la fourniture du service aux clients (article L. 541-8-1, 7° du Code monétaire et financier).
B – Les obligations de droit « commun » du conseiller en gestion de patrimoine :
Le droit commun des contrats met à la charge du conseiller en gestion de patrimoine une information complète et circonstanciée sur les insuffisances et les incertitudes de son projet et des risques encourus[10].
Conformément au droit de la consommation, le conseiller en gestion de patrimoine doit encore communiquer à son client consommateur les caractéristiques essentielles du bien ou du service proposé avant de contracter (art. L. 111-1 du Code de la consommation).
Il s’en déduit notamment une obligation d’information sur les caractéristiques essentielles, y compris les moins favorables, de l’opération proposée, ainsi que sur les risques qui lui sont associés, comme l’ont récemment indiqué deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation le 30 avril 2025[11].
Une plume autorisée faisait enfin observer que le devoir de mise en garde ne concernait pas le conseil en investissement puisque l’objet du conseil en investissement est la recommandation pour orienter vers des services et instruments conformes à la situation et à la tolérance aux risques des clients[12].
Toutefois le devoir de mise en garde prétorien[13], dont sont destinataires les seuls clients non avertis, a vocation à s’immiscer dans l’activité du conseiller en gestion de patrimoine lorsque l’investissement porte sur une opération spéculative[14], étant précisé que le caractère spéculatif ne se déduit pas du seul risque de perte[15].
II – LA RESPONSABILITÉ DU CONSEILLER EN GESTION DE PATRIMOINE :
Bien entendu, les conseillers en gestion de patrimoine ayant le statut de CIF encourent une responsabilité disciplinaire tant à l’égard de l’association professionnelle à laquelle ils adhèrent qu’à l’égard de l’AMF.
Surtout, les manquements à des obligations de droit commun ou à des règles de conduite du conseiller en investissement financier par le conseiller en gestion de patrimoine sont de nature à engager la responsabilité contractuelle de ce dernier au sens de l’article 1231-1 du Code civil lorsqu’elle cause un préjudice au client, voire à un tiers.
C’est donc très classiquement que la responsabilité de ce dernier ne saurait être retenu que si sa faute est démontrée, et qu’elle cause un préjudice à son client.
A – La faute du conseiller en gestion de patrimoine :
La faute consistera pour le conseiller en gestion de patrimoine dans le manquement à l’une de ses nombreuses obligations, que nous exposé, et dont la liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut.
La faute du conseiller en gestion de patrimoine n’est pas automatiquement retenue si l’investissement ne produit pas les résultats attendus.
Nous ne dresserons pas ici une liste des fautes du conseiller en gestion de patrimoine tant la matière est casuistique.
Nous préciserons toutefois que si le client n’a pas suivi les conseils (adaptés) du CGP, ce dernier ne saurait engager sa responsabilité[16].
Un risque imprévisible ne peut pas davantage inquiéter le conseiller en gestion de patrimoine[17].
La Cour de cassation a pu refuser de retenir la faute du conseiller en gestion de patrimoine lorsque le client « était à même de connaître les caractéristiques essentielles de l’orientation de ce placement »[18]. Si la solution se justifie tant au regard du devoir de mise en garde, qui ne concerne que les clients avertis, que de l’article 1112-1 du Code civil qui enjoint la partie qui connaît une information d’importance déterminante pour le consentement de l’autre, de l’informer lorsque « légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ».
B – Le préjudice du client du conseiller en gestion de patrimoine :
Les manquements aux diverses obligations d’informations se traduiront par un préjudice de perte de chance pour le client du conseiller en gestion de patrimoine « d’échapper, par une décision plus judicieuse, au risque qui s’est finalement réalisé » [19]. Toutefois, « ce préjudice n’est pas réparable lorsqu’il est certain que, mieux informée, la victime aurait tout de même réalisé l’investissement qui s’est révélé défavorable. »
Une fois rapportée, « toute perte de chance ouvre droit à réparation », et le client n’a pas à démontrer que s’il avait été parfaitement informé, il aurait souscrit de manière certaine un contrat mieux adapté[20].
On rappellera encore que selon les conditions de droit commun, le préjudice de l’investisseur doit être certain[21], et donc qu’il ne soit ni probable ni virtuel. Cela impliquerait que les investisseurs cèdent leurs titres afin que soit constatée la perte de valeur définitive. La doctrine a pu contester cette position de la Cour de cassation en ce qu’elle conduit à exclure des pertes définitives qui peuvent être évaluées avant la revente[22].
Très classiquement, la Cour de cassation considère que la réparation de la perte de chance ne peut pas être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée, le montant pouvant toutefois avoisiner une somme quasiment égale aux pertes subies[23].
C – La prescription de l’action en responsabilité du conseiller en gestion de patrimoine :
La prescription de l’action en responsabilité dirigée contre un conseiller en gestion de patrimoine est de cinq ans en application de l’article L. 110-4 du Code de commerce.
Dernièrement, dans un arrêt en date du 5 mars 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelait que le délai de prescription de l’action en responsabilité, qu’elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime. Dans l’espèce étudiée par l’arrêt du 5 mars 2025, un investisseur invoquait un dommage consistant en des pertes financières qui ne pouvait se réaliser avant la vente des biens immobiliers acquis sur les conseils d’un gestionnaire de patrimoine[24].
Dans le même ordre d’idée, deux arrêts de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 21 juin 2023 admettaient que le délai de prescription de l’action en indemnisation de la perte de chance subie par l’assuré commence à courir, non à la date où l’investissement a lieu, mais à la date du rachat du contrat d’assurance-vie[25].
[1] Malgré une proposition de Loi : Ass. nat., prop. loi ° 2758-2010, 13 juill. 2010, visant à donner un statut à la profession de conseiller en gestion de patrimoine ; voir encore J-B. POULLE et G. CHEVRANT-BRETON, « Les conseillers en gestion de patrimoine indépendants face aux défis de la directive MIF II », JCP E 2015, 1241.
[2] Récemment AMF, déc., 3 juill. 2020, n° 5, SAN-2020-06 ; BJB 2020, n°5, sept.-oct., p.23, obs. J.-J. Daigre ; voir encore CE, ord. réf., 17 mai 2019, n° 428997.
[3] H. CAUSSE, « Le « conseilleur » en gestion de patrimoine n’est pas toujours le payeur ! », obs. Cass. civ. 1ère, 10 nov. 2015, n° 13-21.669 ; Lexbase Affaires, n°447, 10 déc. 2015.
[4] article L. 321-1 Code monétaire et financier
[5] article D. 321-1, 5° du Code monétaire et financier
[6] et dont la liste figure à l’article D. 211-1 A du Code monétaire et financier.
[7] article L. 531-2 du Code monétaire et financier
[8] article L. 551-1 du Code monétaire et financier
[9] article L. 541-1 du Code monétaire et financier
[10] J.-Ph. BOREL, « L’obligation d’information du conseil en gestion de patrimoine indépendant à l’aune du droit », Dr. et Patr. 2017, n°270, 1er juin.
[11] Cass. com., 30 avril 2025, deux arrêts, n° 23-23.253 et n° 24-10.471 ; B ; Dalloz actualité 16 mai 2025, obs. C. Hélaine.
[12] Th. BONNEAU « La protection précontractuelle des clients des PSI : droit prétorien, droit spécial ou droit commun ? », BRDA 10/18.
D’ailleurs, l’article L. 533-13, II du Code monétaire et financier précise que le devoir de mise en garde légal applicables prestataires de services d’investissement (qu’il convient de distinguer des conseillers en investissements financiers) est exercé pour la fourniture d’un service autre que le conseil en investissement ou la gestion de portefeuille.
[13] arrêt « Buon » Cass. com., 5 nov. 1991, n° 89-18.005 ; Bull. civ. IV, n° 327, p. 227.
[14] affaire « Bénéfic », Cass. com. 19 sept. 2006, n° 05-15.304, n° 05-14.343, et n° 05-14.344 ; Bull. civ. IV, n°186 et n°187 ; voir plus récemment Cass. Com, 18 janvier 2017, n° 15-19.913, inédit, où il était question d’un investissement de capitaux dans des produits financiers qui, bien que soumis aux variations des marchés financiers, ne présentaient pas pour autant pas de caractère spéculatif.
[15] Cass. com., 28 janv. 2014, n°12-19.204, inédit
[16] s’agissant d’un nécessaire placement d’une somme significative afin de combler un différentiel prêt : CA Versailles, 15 mars 2018, RG n° 16/02180
[17] S’agissant d’un surcoût de travaux qui s’est révélé nécessaire plus de deux années après le début des travaux Cass. 1ère civ., 19 juin 2019, n° 18-20.342.
[18] Cass. com., 28 nov. 2006, n°05-17.510, inédit
[19] Cass. 2ème civ. 24 sept. 2020 n°18-12.593 et 18-13.726 ; B ; Cass. com. 8 nov. 2023, n° 21-24.706, inédit ; Au sujet d’une activité voisine, A.-D. MERVILLE, « Les obligations d’information, de conseil et de mise en garde du prestataire de services d’investissement », RLDA 2022, n°73, 1erjuillet 2012.
[20] Cass. civ. 2ème, 20 mai 2020, n°18-25.440 ; B
[21] Cass. com., 27 mai 2021 (quatre arrêts), n°19-14.054, inédit, n°19-17.260, inédit, n°19-17.275, inédit, n°19-19.169, inédit.
[22] J. PROROK, « Faut-il céder ses titres pour subir un préjudice ? », Revue des sociétés 2021, p.630, note sous Cass. com., 27 mai 2021, préc. : « En l’espèce, pour pouvoir véritablement trancher quant au caractère certain du préjudice, il aurait donc fallu déterminer s’il existait une probabilité suffisante que la perte de valeur – et non la valeur tout court, qui peut effectivement évoluer a posteriori – des droits sociaux causée par la faute était définitive. ».
[23] Cass. com., 8 nov. 2011, 10-23.662, inédit.
[24] Cass. com., 5 mars 2025, n° 23-23.918, B ; Dalloz actualité 14 mars 2025, obs. C. Hélaine ; RCA 2025, comm. 95, obs. O. Robin-Sabard ; Construction – Urbanisme 2025, comm. 48, obs. Ch. Sizaire ; Gaz. Pal. 2025, 27 mai, p. 58, n° GPL477x5, obs. V. Zalewski-Sicard.
[25] Cass. com., 21 juin 2023, deux arrêts, n° 21-19.853 et n°21-16.716 ; B

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