
Maître Amaury Ayoun est avocat en droit bancaire à Marseille. Il intervient en défense des cautions solidaires assignées en paiement par les établissements bancaires.
Lorsqu’une caution est poursuivie en exécution de son engagement par un établissement bancaire, elle dispose de divers moyens de défense : nullité du contrat de prêt ou du cautionnement, défaut d’information[1], disproportion de l’engagement, etc. Mais encore faut-il que ces moyens soient recevables et correctement présentés dans les écritures. L’arrêt rendu le 16 janvier 2025 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation[2], largement commenté, clarifie une difficulté fréquente : la caution peut se borner à conclure au rejet des demandes du créancier et invoquer ses moyens dans les seuls motifs de ses conclusions, sans avoir à les faire figurer au dispositif. Une décision bienvenue pour les praticiens.
I – Une lecture formaliste à l’origine du litige de la caution :
En l’espèce, une banque assigne une société caution en paiement sur le fondement d’un cautionnement signé en 2015. La caution, en appel, ne sollicite dans le dispositif de ses conclusions que le rejet des demandes adverses. Toutefois, elle expose dans la discussion de ses conclusions plusieurs moyens de fond : nullité du prêt et de l’acte de cautionnement, défaut d’information annuelle, et déchéance du droit aux intérêts. La cour d’appel, adoptant une lecture stricte de l’article 954 du Code de procédure civile, estime que ces moyens, faute d’être énoncés dans le dispositif, sont irrecevables.
Cette interprétation est bien entendu contestable comme le soulignent plusieurs auteurs. Pour le Professeur Théron, la distinction entre moyens et prétentions n’est pas superposable à celle entre demandes principales et demandes incidentes : « la nullité, lorsqu’elle est soulevée par la caution pour s’opposer à la demande en paiement, reste un moyen de défense »[3]. Le Professeur Barba souligne quant à lui que cette jurisprudence formaliste pèche par incohérence, car elle revient à faire obstacle à la possibilité pour la caution de contester utilement les demandes du créancier[4].
II – Une décision qui rétablit l’équilibre procédural pour la caution :
Au visa des articles 71 et 954 du Code de procédure civile , la Haute Juridiction casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle que le juge doit examiner les moyens de fond soulevés dans les motifs, dès lors qu’ils soutiennent une prétention énoncée au dispositif. En l’espèce, la caution sollicitait le rejet des demandes de la banque, ce qui suffisait à la saisir de l’ensemble des moyens exposés dans la discussion. La deuxième chambre civile conforte donc l’analyse selon laquelle les défenses au fond, à la différence des demandes reconventionnelles, n’ont pas à figurer au dispositif.
Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante. Ainsi, la Cour rappelle depuis longtemps que la nullité invoquée à titre d’exception constitue un moyen de défense[5]. Elle a également rappelé que l’exception de nullité peut être invoquée en tout état de cause (art. 72 CPC) et qu’elle n’est pas soumise à prescription si le contrat n’a reçu aucune exécution (C. civ., art. 1185).
III – Portée et limites de la solution au regard de la défense de la caution :
Selon un auteur, cette jurisprudence évite que des erreurs de forme ne privent la caution de ses moyens de défense, alors même que ceux-ci sont pertinents pour contester la dette[6]. En ce sens, elle rétablit un équilibre utile entre le formalisme des règles de procédure civile et la protection du droit de se défendre. Le rejet de la prétention adverse suffit donc à ouvrir la discussion sur les moyens.
La décision ne résout cependant pas toutes les difficultés. Comme le relève le Professeur Amrani Mekki, l’enjeu de la qualification entre prétention et moyen de défense demeure délicat, notamment dans les cas de demande en compensation ou d’exception de disproportion[7]. En effet, la chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment jugé dans son arrêt du 18 décembre 2024 également très commenté[8] que la disproportion manifeste de l’engagement de la caution ne peut être invoquée que comme moyen de défense, et non par voie d’action.
IV – L’indispensable regard pratique de l’avocat de caution :
A – Structurer les écritures avec rigueur
L’avocat de la caution doit prendre soin de distinguer clairement le dispositif de ses prétentions (le rejet, voire l’infirmation du jugement) des moyens de fait et de droit qui les soutiennent. Les articles 954 (appel) et 768 (première instance) du Code de procédure civile imposent cette structuration. Il est donc recommandé d’éviter les dispositifs pléthoriques, sans pour autant omettre les prétentions utiles.
B – Concilier stratégie de défense et sécurité juridique
Pour éviter toute requalification ou irrecevabilité, il peut être opportun, lorsqu’un doute existe sur la nature d’un moyen, de le mentionner à la fois dans la discussion et au dispositif, sous forme subsidiaire. Cela vaut notamment pour les exceptions hybrides (nullités partiellement exécutées, compensation, etc.)
Conclusion :
La décision du 16 janvier 2025 reconnaît que la caution peut se défendre sans être prisonnière du dispositif de ses conclusions. Il suffit qu’elle conclue au rejet des demandes et invoque ses moyens dans les motifs. Cette jurisprudence, à la fois pragmatique et protectrice, constitue une avancée pour les cautions et leurs défenseurs. Elle n’exonère pas pour autant d’une rigueur dans la rédaction des écritures – travail d’orfèvre – afin de préserver la lisibilité et la recevabilité des moyens soulevés.
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[1] Sur la mise en garde de la caution, voir par exemple notre article sur l’arrêt du 9 octobre 2024 ; Cass. com., 9 oct. 2024, n°23-15.346, B
[2] Cass. 2ème civ., 16 janv. 2025, n°22-17.956, B ; Dalloz actualité 4 févr. 2025, note M. Barba ; Procédures 2025, n°3, mars, comm. 53, note S. Amrani Mekki ; JCP G 2025, act. 252, note J. Théron ; Gaz. Pal. 2025, n°10, 18 mars, p. 15 et s, note J.-B. Meyrier.
[3] J. THÉRON, note sous Cass. 2ème civ., 16 janv. 2025, JCP G 2025, act. 252.
[4] M. BARBA, note sous Cass. 2ème civ., 16 janv. 2025, Dalloz actualité 4 févr. 2025.
[5] Cass. 1ère civ., 6 janv. 1976, n°74-13.448, Bull. civ. I, n°5, p. 5 ; Cass. 1ère civ., 19 déc. 1995, n°94-10.812, Bull. civ. I, n° 477, p. 330 ; Cass. 2èmeciv., 19 oct. 2006, n°05-17.599, Bull. civ. II, n° 276, p. 257.
[6] J.-B. MEYRIER, note sous Cass. 2ème civ., 16 janv. 2025, Gaz. Pal. 2025, n°10, 18 mars, p. 15 et s.
[7] S. AMRANI MEKKI, note sous Cass. 2ème civ., 16 janv. 2025, Procédures 2025, n°3, mars, comm. 53.
[8] Cass. com., 18 déc. 2024, n°22-13.721 ; Publié au Bulletin ; Dalloz actualité 08 janvier 2025, note C. Hélaine ; D. 2025, p. 430, note J.-M. Chandler ; LEDC 2025, n°2, févr., n° DCO202t6, obs. D. Nemtchenko ; LEDB 2025, n°2, févr., n° DBA202q9, obs. M. Mignot ; JCP G 2025, act. 148, note J. Bruschi, Rev. Dr. banc. et fin. 2025, n° 1, janv.-févr., comm. 9, note D. Legeais.

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