[Droit immobilier] Peut-on faire expulser le locataire d’un autre copropriétaire suite à des troubles de voisinage et à la violation du règlement de copropriété ?

Maître Amaury AYOUN est avocat au Barreau de Marseille et intervient fréquemment dans les procédures d’expulsion des locataires et squatteurs .

Il arrive parfois que les incivilités de certains locataires ne cessent d’alimenter les discussions entre voisins ou lors des assemblées générales de copropriété : nuisances sonores, tapage nocturne notamment, encombrement des parties communes, utilisation de véhicule dans le hall, dégradation des biens communs, comportements agressifs.

Il est souvent inséré dans les contrats de bail d’habitation de ces locataires turbulents des obligations de se conformer aurèglement de copropriété, et de jouir paisiblement des locaux. À cet égard, l’article 1729 du Code civil dispose d’ailleurs que  « Si le preneur n’use pas de la chose louée raisonnablement ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail. ». 

Cette obligation figure encore à l’article 7 de la Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, lequel dispose que « Le locataire est obligé :  (…) b) D’user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location ; »

La possibilité pour le propriétaire du logement d’obtenir l’expulsion de son locataire en raison de son usage non paisible des lieux et des troubles de voisinage dont il est à l’origine n’est évidemment pas discutée.

Bien entendu, tout personne victime d’un trouble de voisinage peut en demander réparation au locataire et au bailleur (I).

La question se pose aussi de savoir si des locataires, d’autres propriétaires ou le syndicat des copropriétaires peuvent demander la résiliation du bail et obtenir l’expulsion du locataire causeur de troubles lorsque le bailleur n’agit pas (II) ?

I – QUI PEUT DEMANDER RÉPARATION AU LOCATAIRE ET AU BAILLEUR DES TROUBLES DE VOISINAGE ?

Toute personne est susceptible de demander au locataire et au bailleur la réparation des troubles de voisinage, à condition toutefois d’être victime de ce trouble.

Selon un arrêt du 19 novembre 1986[1], « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Les troubles (anormaux) de voisinage, engagent la responsabilité sans faute de leurs auteurs.

L’article 9, I. de la Loi n°65-557 du 10 juillet 1965, Fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis dispose que « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble. »

S’agissant de l’action fondée sur les troubles anormaux de voisinage, on notera qu’un syndicat des copropriétaires peut parfaitement agir à l’encontre d’un copropriétaire sur le fondement d’un trouble anormal du voisinage[2]

De plus, l’action peut parfaitement viser le bailleur des locataires litigieux : « lorsque le trouble de voisinage émane d’un immeuble donné en location, la victime de ce trouble peut en demander réparation au propriétaire, qui dispose d’un recours contre son locataire lorsque les nuisances résultent d’un abus de jouissance ou d’un manquement aux obligations nées du bail »[3].

L’anormalité est une question de fait à l’appréciation des juges du fond. Les juridictions peuvent sanctionner de différentes manières les troubles anormaux soit en ordonnant la cessation de l’illicite, soit en condamnant les locataires fautifs et leur bailleur au paiement de dommages et intérêts lorsque la réparation en nature est impossible.

II – LES LOCATAIRES, LES COPROPRIÉTAIRES ET LE SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES PEUVENT-ILS DEMANDER LA RÉSILIATION ET L’EXPULSION DU LOCATAIRE SI LE BALLEUR N’INTERVIENT PAS ?

En principe, seul le bailleur peut rompre le contrat qui le lie à son locataire et demander son expulsion. Néanmoins, les copropriétaires et le syndicat des copropriétaires peuvent exercer une action « oblique » et demander la résiliation et l’expulsion du locataire en lieu et place du bailleur défaillant.

L’article 1341 du Code civil dispose que « Le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi. » et le cas échéant par la voie de l’action oblique.

L’article 1341-1 du Code civil précise en effet que « Lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. ».

Dans le cas de la violation des obligations d’un contrat de bail, cela signifie que tout créancier du bailleur peut exercer ses actions à caractère patrimonial à sa place, et notamment demander résiliation du bail et l’expulsion du locataire.

Lorsque les locataires ont violé les obligations de leur contrat de bail (jouissance paisible par exemple) ainsi que le règlement de copropriété, la carence du bailleur afin de faire cesser les agissements de ses locataires peut être constatée, et si ces violations ont causé un préjudice au syndicat des copropriétaires, ce dernier est bien fondé à demander la résiliation du bail des locataires[4].

Pour que le syndicat des copropriétaires obtienne la résiliation, il y a 4 conditions à réunir : 

  • La violation du règlement de copropriété.
  • La violation des termes du contrat de bail.
  • La carence du propriétaire bailleur (absence de réaction, mise en demeure, procédure aux fins de faire cesser les troubles).
  • Le préjudice du syndicat des copropriétaires

Il a aussi été admis par la Cour de cassation que les copropriétaires pouvaient aussi demander la résiliation du bail et l’expulsion du locataire[5] dans les mêmes conditions.

En revanche, cette action n’est pas ouverte aux autres locataires, les voisins du fauteur de troubles, très concernés par son comportement.

En effet, le fondement de cette action est la nature contractuelle du règlement de copropriété. Comme l’indique un auteur, cela fait de chaque copropriétaire « le créancier de tous les autres quant à son respect »[6].

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Maître Amaury AYOUN est avocat et intervient en droit immobilier, notamment en procédure d’expulsion locative à Marseille

Vous pouvez nous joindre par mail (avocat@amauryayoun.com) et par téléphone (04 84 25 40 95) afin que nous fixions rendez-vous ou répondions à vos éventuelles interrogations.


[1] Cass. civ. 2ème, 19 nov. 1986, n°84-16.379Bull. civ. II, N° 172 p. 116

[2] Cass. civ. 3ème, 11 mai 2017, n° 16-14.339Publié au Bulletin

[3] Cass. civ. 2ème, 8 juill. 1987, n°85-15.193Bull. civ. II, n°150, p. 86.

[4] Cass. 3ème civ., 20 déc. 1994, n° 92-19.490Bull. civ. III, n° 225 ; Cass. 3ème civ., 14 nov. 1985, n°84-15.577 ; Bull. civ. III, n° 143 p. 109 ; Cass., 3ème civ., 22 juin 2005, n°04-12.540, inédit ; Cass. 3ème civ., 19 nov. 2015, n° 14-18.752, inédit ; Cass. 3ème civ., 27 avr. 2017, n°15-24.031, inédit.

[5] Cass. civ. 3ème, 8 avr. 2021, n°20-18.327, Publié au bulletin.

[6] H. BARBIER, obs sous Com. 8 avr. 2021, n° 20-18.327; RTD Civ. 2021, p. 642.

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