[Droit bancaire] Disproportion manifeste de la caution et fiche de renseignement

Maître Amaury Ayoun est avocat au Barreau de Marseille et intervient en droit bancaire. Il assiste régulièrement les cautions solidaires assignées en paiement par les établissements bancaires.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment rendu deux arrêts dont le thème principal est celui de la fiche de renseignement remplie par la caution, issue de la pratique bancaire, dont l’objet est d’établir l’état du patrimoine de la caution, et proportionner l’engagement à hauteur de celui-ci.

I – LA DATE D’ÉTABLISSEMENT DE LA FICHE DE RENSEIGNEMENT :

Dans le premier de ces arrêts, en date du 13 mars 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation[1] s’intéresse à la date à laquelle la fiche est remplie.  Dans le cas étudié par la chambre commerciale, un crédit de trésorerie consenti par un établissement bancaire à une société avait été cautionné par une personne physique.

Une fois la société placée en liquidation judiciaire, la banque avait donc assigné la caution en paiement. Cette dernière opposait très classiquement la disproportion manifeste de son engagement, un moyen de défense classique des cautions qui cherchent à échapper à leur engagement envers des créanciers professionnels[2].  Pour rappel, la sanction  d’une caution disproportionnée est en effet attrayante puisque si la disproportion manifeste de l’engagement aux revenus et au patrimoine de la caution est démontrée, « il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date » (article 2300 du Code civil).

La banque soutenait quant à elle qu’une fiche de renseignement avait pourtant été remplie et était de nature à justifier l’absence de disproportion manifeste de l’engagement.

Or, dans l’espèce dont la chambre commerciale de la Cour de cassation avait à connaître,  l’engagement de caution avait été régularisé le 4 juillet 2008 et la fiche renseignée le 11 août 2008 …

Avant que l’établissement bancaire ne saisisse la Cour de cassation, la cour d’appel avait considéré que cette dernière ne pouvait pas se prévaloir des déclarations faites par la caution dans la fiche de renseignements remise plus d’un mois après la souscription de son engagement.

Pour autant, fallait-il exclure d’emblée le caractère probant de cette fiche pour l’étude de la proportion de l’engagement ?

Après avoir rappelés les termes de l’ancien article L. 341-4 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016[3] (« un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »), la chambre commerciale de la Cour de cassation précise les diligences de l’établissement de crédit qu’implique ce texte :

« Si ce texte n’impose pas au créancier, sauf anomalies apparentes, de vérifier les déclarations fournies par la caution, à qui il incombe de prouver la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et revenus, le créancier a le devoir de s’enquérir de la situation patrimoniale de cette dernière, avant la souscription du cautionnement, de sorte qu’il ne peut être tenu compte, pour l’appréciation de la disproportion, d’une fiche de renseignements signée postérieurement. »

Solution catégorique pour la chambre commerciale qui, après avoir rappelé que la charge de la preuve de la disproportion manifeste appartient à la caution, précise qu’il appartient à la banque de se renseigner sur la proportion de l’engagement au patrimoine du garant avant que l’acte soit régularisé.

Pour la Cour, il faut donc en déduire qu’il ne peut être tenu compte d’une fiche établie postérieurement à l’engagement pour apprécier la disproportion de l’engagement.

Un auteur fait encore observer qu’en employant la formule du « devoir de s’enquérir », la Cour de cassation oriente sa jurisprudence vers « un nouveau devoir d’investigation », que les textes ne prévoient pas[4].

Enfin, l’enjeu probatoire véhiculé par la fiche de renseignement est de taille puisque le « retour à meilleure fortune »[5] mentionné dans les textes antérieurs à l’Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a été supprimé.  La disproportion manifeste ne produisait pas d’effet sur l’engagement de la caution si « au moment où celle-ci est appelée », son « patrimoine de cette caution (…) lui perme[t] de faire face à son obligation ». Le nouvel article 2300 du Code civil ne prévoit d’apprécier la disproportion de l’engagement seulement au moment de la conclusion du contrat.

II – L’ABSENCE DE FICHE DE RENSEIGNEMENT :

Dans les second arrêt en date du 4 avril 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation[6] est amenée à traiter d’un cas dans lequel une personne physique caution d’un prêt accordé à une société pour l’acquisition d’un fonds de commerce s’est vu opposé par une cour d’appel une « obligation déclarative », ce qui l’empêchait de soulever utilement le moyen de défense tiré de la disproportion de l’engagement.

En effet, au moment de se porter garant, la caution n’avait pas déclaré à la banque prêteuse les 7 engagements de cautions à laquelle elle était déjà tenue dont le montant total était de 736 220 euros …

La caution était-elle tenue d’une obligation déclarative auprès du prêteur ? La caution soutenait dans son moyen qu’aucune fiche de renseignement n’avait été établie. Selon elle, le prêteur ne s’étant pas assuré que la caution était en mesure de faire face à son engagement, l’endettement global de la caution devait donc être pris en considération pour apprécier à la disproportion de l’engagement.

La chambre commerciale apporte à nouveau une réponse catégorique à la question qui lui était posée. Selon la chambre, « n’ayant pas été invitée par le créancier à établir une fiche de renseignements, la caution n’était pas tenue de déclarer spontanément l’existence d’engagements antérieurs, de sorte qu’en l’absence de telles déclarations, l’ensemble de ses biens et revenus, dont elle établissait l’existence, devait être pris en compte pour apprécier l’existence d’une éventuelle disproportion manifeste de l’engagement litigieux »

On reconnaît volontiers que l’absence de spontanéité confine ici à la mauvaise foi. Pour autant, comme l’indiquait le précédent arrêt, d’une part, le créancier professionnel a quant à lui le « devoir se s’enquérir » de la situation patrimoniale du garant, et d’autre part, l’appréciation de la disproportion porte sur le patrimoine au moment de la conclusion de l’engagement.

La situation aurait cependant été moins favorable pour le garant si une fiche de renseignement avait été prise et que ses déclarations avaient été inexactes.

***

Si cet article vous intéresse, nous vous recommandons de prendre connaissance de notre précédent article qui établit la liste des moyens de défenses des cautions pour tenter de se désengager.

Notre cabinet d’avocat en droit bancaire est compétent pour contester les actions en remboursement exercées contre les cautions bancaires devant les tribunaux de Marseille du ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (Digne-les-Bains, Draguignan, Grasse, Marseille, Nice, Tarascon, Toulon).

Notre cabinet intervient le cas échéant devant toute juridiction en France.

Vous pouvez joindre notre cabinet par téléphone au 04 84 25 40 95 ou par mail : avocat@amauryayoun.com


[1] Cass. com.,  13 mars 2024, n°22-19.900, Publié au bulletin

[2] nos observations sur un arrêt récent de la chambre civile de la Cour de cassation (Cass. com., 21 juin 2023, n°21-24.691 ; Publié au bulletin) précisant la notion de créancier professionnels, dans notre article du 10 novembre dernier.

[3] depuis l’Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, il faut se référer désormais à l’article article 2300 du Code civil.

[4] Ch. ALBIGES, obs. sous Cass. com., 13 mars 2024, Gaz. Pal. 2024, n°14, 23 avr., p. 2

[5] L. BOUGEROL et G. MÉGRET, Le guide du cautionnement et autres sûretés personnelles, Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2022, p. 221, n° 22.232.

[6] Cass. com., 4 avr. 2024, n°22-21.880, Publié au bulletin

Un commentaire sur “[Droit bancaire] Disproportion manifeste de la caution et fiche de renseignement

Laisser un commentaire