
Maître Amaury Ayoun est avocat au Barreau de Marseille et intervient en droit bancaire. Il assiste régulièrement les cautions solidaires assignées en paiement par les établissements bancaires.
Le 10 mai 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu deux arrêts, tous deux publiés au Bulletin, illustrant plusieurs moyens de défense que le dirigeant caution solidaire peut invoquer lorsqu’elle est assignée en paiement.
I – NULLITÉ DE LA CAUTION ET POUVOIRS DES DIRIGEANTS :
Le premier porte sur une problématique peu fréquente en la matière et pourtant terriblement efficace pour la caution personne morale[1]. Dans cet arrêt, un établissement bancaire avait consenti à une première société un prêt garanti le cautionnement solidaire d’une seconde société anonyme à directoire et conseil de surveillance. Suite la liquidation judiciaire de la première société, la banque a assigné en paiement la société caution. Cette dernière lui a opposé la nullité de son engagement de caution.
Selon l’article L. 225-66, alinéa 1er du Code de commerce, « Le président du directoire ou, le cas échéant, le directeur général unique représente la société dans ses rapports avec les tiers. », et selon l’article L. 225-68, alinéa 2 du Code de commerce, « Les statuts peuvent subordonner à l’autorisation préalable du conseil de surveillance la conclusion des opérations qu’ils énumèrent. Toutefois, les cautions, avals et garanties, sauf dans les sociétés exploitant un établissement bancaire ou financier, font l’objet d’une autorisation du conseil de surveillance, qui en limite le montant,dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’Etat. ».
Aussi, l’article R. 225-53 du Code de commerce, « Le conseil de surveillance peut, dans la limite d’un montant total qu’il fixe, autoriser le directoire à donner des cautions, avals ou garanties au nom de la société. (…)Le directoire peut déléguer le pouvoir qu’il a reçu en application des alinéas précédents. ».
Or, dans les faits soumis à la Cour de cassation, le conseil de surveillance a seulement habilité le directoire à donner des cautions, de sorte que le président du directoire ne pouvait pas consentir un engagement de cautionnement sans avoir reçu de délégation de la part du directoire.
La cour de cassation censure la décision des juges du fond pour défaut de base légale car ils n’avaient pas constaté l’existence d’une décision du directoire d’autoriser le cautionnement.
On fera toutefois observer qu’en la matière la sanction n’est pas la nullité de l’engagement mais son inopposabilité du cautionnement à la société[2].
II – FLORILÈGE DE MOYENS : INSUFFISANCE DES GARANTIES, IMPUTATION DES PAIEMENTS, OBLIGATION ANNUELLE D’INFORMATION …
Le second arrêt traite de plusieurs problématiques qui témoignent de la richesse de l’argumentation en matière de défense des cautions[3].
Dans cet arrêt, l’établissement de crédit avait consenti un contrat global de crédits de trésorerie à une société dont le dirigeant personne physique s’était très classiquement porté caution solidaire et avait tout aussi classiquement été assigné en exécution de son engagement une fois la société liquidée. La caution avait développé plusieurs moyens parfois originaux.
Premier argument, la caution excipait une faute de la banque résultant de la perte ou de l’absence de prise de garanties, car elle n’avait pas pris de sûreté réelles sur les biens immobiliers de la société ni sollicité la garantie d’une seconde caution solidaire. Le moyen se révèle, sans véritable surprise, peu efficace. Selon la Cour de cassation, dont la motivation est très explicite, « la banque n’avait pas l’obligation d’exiger des garanties multiples, ce qui, d’ailleurs, aurait eu un coût pour la société cautionnée, et qu’elle pouvait parfaitement se contenter de la garantie d’une caution notoirement solvable et avertie (…) ». On fera observer que la motivation est ici très circonstanciée.
Le second argument, plus astucieux, portait sur la règle d’imputation des paiements visée par l’ancien article 1256, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, devenu article 1342-10 du Code civil, dont le sens demeure pour l’essentiel inchangé, selon lequel « Lorsque la quittance ne porte aucune imputation, le paiement doit être imputé sur la dette que le débiteur avait pour lors le plus d’intérêt d’acquitter entre celles qui sont pareillement échues ; sinon, sur la dette échue, quoique moins onéreuse que celles qui ne le sont point. Si les dettes sont d’égale nature, l’imputation se fait sur la plus ancienne ; toutes choses égales, elle se fait proportionnellement. »
La caution exposait que des prélèvements bancaires devaient être imputés de préférence au remboursement de l’opération cautionnée au lieu de les affecter à une autre ligne de crédit.
Par application de l’ancien article 1256 du Code civil, tout portait en effet à penser que l’opération cautionnée est celle que le débiteur avait le plus intérêt d’acquitter.
Selon la Cour de cassation, « l’acceptation de prélèvements bancaires n’implique pas en elle-même, à défaut de stipulation contractuelle expresse, que le débiteur ait entendu renoncer aux dispositions de ce texte ». Dans ces conditions, la Cour d’appel qui avait retenu « qu’en acceptant les prélèvements des mensualités impayées des prêts sur la ligne de crédit en cause, l’emprunteur et la caution ont nécessairement renoncé à donner priorité au remboursement de l’ouverture de crédit cautionnée. » a effectivement violé l’article 1256 du Code civil et donne donc le premier motif de cassation de cet arrêt.
Le troisième argument était relatif à l’obligation annuelle d’information dont la caution solidaire entendait se prévaloir pour solliciter la sanction du défaut d’information, la déchéance du droit aux intérêts, frais et accessoires de la banque.
La Cour d’appel avait débouté la caution de sa demande de déchéance après avoir retenu que la caution, dirigeant de la société cautionnée, ne peut se prévaloir du défaut d’information.
Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debemus ! Les anciens articles L. 313-22 du Code monétaire et financier et L. 341-6 du Code de la consommation, antérieurs à l’Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, toutes deux relatives à l’obligation d’information annuelle de la caution, ne distinguent pas selon que la caution est dirigeante ou non.
La Cour de cassation livre ici encore un attendu expéditif : « Ces dispositions bénéficient à la caution personne physique pour les deux textes, et à la personne morale pour le premier, même dirigeante. »
Le quatrième argument, certainement le moins sophistiqué, portait sur le montant de l’engagement de la caution. Cette dernière soutenait que « son engagement de caution était limité à la garantie du principal de la dette, à l’exclusion de toute somme due au titre d’accessoires ». Or, la Cour d’appel avait retenu en plus du principal une indemnité forfaitaire pour calculer le solde de la dette. La Cour de cassation ne répondra pas directement à cette problématique puisque la cassation est fondée sur l’article 455 du Code de procédure civile, la Cour d’appel n’ayant pas répondu aux conclusions de l’appelant.
Dernière observation : la banque demandait, à titre subsidiaire, que la Cour de cassation prononce une cassation sans renvoi et statue au fond sur le fondement de l’article L. 411-3 du Code de l’organisation judiciaire, parce qu’une Cour d’appel avait définitivement confirmé le jugement du tribunal de commerce, saisi de la liquidation de la société cautionnée, lequel avait fixé le montant de la créance du contrat global de crédit de trésorerie au passif de la procédure.
La banque prétendait ainsi qu’aucun débat ne pouvait plus avoir lieu sur le montant de la dette garantie.
À nouveau, la Cour de cassation statue par un attendu catégorique : « nonobstant la chose jugée par l’admission définitive d’une créance à la procédure collective d’un débiteur, la caution solidaire du paiement de cette créance peut opposer au créancier toutes les exceptions qui lui sont personnelles », solution parfaitement orthodoxe.
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Pour en savoir davantage sur la défense de la caution, nous vous invitons à lire notre précédent article relatif la liste des moyens de défenses des cautions pour tenter de se désengager, que le cabinet met à jour régulièrement.
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[1] Cass. com., 10 mai 2024, n°22-20.439, Publié au Bulletin.
[2] Cass. com., 11 juill. 1988, n°87-11.209, Publié au Bulletin.
[3] Cass. com., 10 mai 2024, n° 22-19.746 ; Publié au Bulletin.

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