[Actifs numériques] Ces NFT (non-fungible tokens) qui « tokenisent » le monde de l’art …

Alors que le régime juridique des actifs numériques et des blockchain ou « technologies de registre distribué » (DLT pour « Distributed Ledger Technology », ou encore DEEP pour « Dispositifs d’enregistrement électronique partagés ». Pour plus d’explications, voy. D. LEGEAIS, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, coll. Actualités, 2019, n°28, p. 18) se dessine (voir récemment la propostion de la la Commission européenne : Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant la directive (UE) 2019/1937, COM/2020/593 final, 24 septembre 2020) et que les crypto-monnaies sont adoptés par un plus grand public, les NFT ont fait une percée fracassante dans le monde de l’art depuis le début de l’année 2021.

1 – Définition. – Les NFT ou « Non-fungible tokens » sont donc, comme leur nom l’indique, des jetons numériques  ou tokens non fongibles. 

Il est d’usage d’expliquer cette notion en donnant un contre exemple de jeton fongible : les cryptomonnaies seraient fongibles car elle sont caractérisées par leur équivalence lors d’un échange (S. GUINCHARD, Th. DEBARD, Lexique des termes juridiques 2020-2021, 28ème éd., Dalloz, 2020, V° « Chose Fongible ») : Un Bitcoin a la même valeur et les mêmes caractéristiques qu’un autre Bitcoin.

La fonction de paiement illustre habituellement la notion de « chose fongible » : « Les choses fongibles, n’étant déterminées que par leur nombre, leur poids ou leur mesure, peuvent être employées indifféremment les unes pour les autres dans un paiement. C’est dire que deux ou plusieurs choses sont en rapport d’équivalence, de sorte que l’une quelconque d’entre elles peut servir à la satisfaction d’un même besoin » (F. Terré, Ph. Simler, Droit civil : Les biens, 10ème éd., Dalloz coll. Précis, 2018, spéc. n°11). Cette analyse traditionnelle avait en tout cas suffit au tribunal de commerce de Nanterre pour qualifier le Bitcoin de bien fongible (T. com, 26 févr. 2020, aff. n°2018F00466 ; Lexbase Hebdo éd. affaires 2020, n°628, 19 mars, comm. J. Lasserre Capdeville ; RLDI 2020, n°168, mars, note G. Marraud des Grottes ; Revue Banque 2020, n°843, avr., obs. S. Oudjhani-Rogez ; LEDB 2020, n°4, avr., obs. N. Mathey ; Banque & Droit, n°191, mai-juin 2020, p. 45 et s. ; JCP E 2020, 1201, obs. M. Julienne ; Comm. com. électr. 2020, comm. 52, obs. E. A. Caprioli ; RD bancaire et fin. 2020, étude 7, obs. D. Legeais ; AJ Contrat 2020, 296, obs. J. Moreau ; Gaz. Pal. 2020, 9 juin, n° 379z0, p. 61, obs. S. Moreil).

Notons cependant que les jetons numériques ne sont pas des « choses » car il ne s’agit pas de « biens matériels » (S. GUINCHARD, Th. DEBARD, Lexique des termes juridiques 2020-2021, 28ème éd., Dalloz, 2020, V° « Chose ») et que le Conseil d’État les avait, en raison de leur immatérialité, qualifiés de « biens meuble incorporel » (CE, 8e et 3e ch. réun., 26 avr. 2018, n°417809 ; Dr. fisc. 2018, n° 24, comm. 298, concl. R. Victor, note M. Collet ; JCP E 2018, 1323, note Th. Bonneau ; Dalloz IP/IT 2018, p. 431, obs. F. Douet).

Par opposition donc, le jeton non fongible est, comme tout autre bien non fongible, caractérisé par son individualité et ne peut être remplacé. Ainsi, le jeton non fongible a vocation à être unique, comme un tableau de maître et a pour fonction de créer la rareté dans le monde numérique, dans lequel les fichiers numériques sont reproductibles.

2 – Illustrations. – Les premiers NFT ayant vu le jour se sont illustrés dans des DApp (« Decentralized application » : applications reposant sur une technologie blockchain,. Voy. à ce sujet D. LEGEAIS, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, coll. Actualités, 2019, n°145, p. 92) de jeux en ligne dans lesquels les utilisateurs achètent, vendent et s’échangent des « crypto collectibles ». Ainsi, l’application CryptoKitties permet (notamment) de collectionner des chats virtuels comme son nom l’indique. L’application NBA Top Shot, permet quant à elle de collectionner les (meilleurs) « moments » des matchs de basketball de la NBA, chaque « moment » étant unique.

Plus récemment, cependant, des initiatives dans le monde de l’art ont démocratisé ce type de jetons. Des artistes grands public tels que Kings of Leon, Disclosure, Aphex Twin ou Boys Noize ont par exemple « tokenisés » certains de leur projets. Les heureux acquéreurs des NFT produits par ces artistes ont donc – pour simplifier – eu un accès exclusif à des contenus numériques en édition limités : morceau de musique inédits, clip musicaux ou billets d’entrée de concerts. 

Les raisons d’acquérir le NFT d’images ou de twitts « tokenisés » semblent plus énigmatiques. Par exemple, Jack Dorsey le PDG de Twitter a vendu un NFT de son premier twitt du 21 mars 2006, le premier du réseau social, pour une somme de plus de 2 millions de dollars. On s’interroge donc sur l’intention ou l’utilité de se porter acquéreur pour une telle somme de ce twitt que chacun peut consulter en ligne.

Dans le même ordre d’idée, il est également loisible à tout un chacun de prendre connaissance (et d’admirer) de l’œuvre de Justin Roiland, créateur de la série d’animation « Rick et Morty » dont le NFT a été vendu 290 milles dollars.

 

3 – Objet des NFT. – D’aucun en concluraient donc que l’opération a pour but d’accéder à la propriété du twitt ou de l’image en question.  Cependant, cette conclusion hâtive n’est pas exacte puisque, en droit français à tout le moins, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit « sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » (art. L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle).

Notons cependant que le jeton, au regard de son immatérialité, ne caractérise pas tout à fait un « support » au sens qu’on lui attribue habituellement. Le droit d’auteur s’exprime sur l’immatériel et se distingue de sa matérialisation physique. En effet, « la propriété incorporelle définie par l’article L. 111-1 est indépendante de la propriété de l’objet matériel. L’acquéreur de cet objet n’est investi, du fait de cette acquisition, d’aucun des droits prévus par le présent code (…) » (art. L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle).

Cette distinction est contrariée lorsque le support est aussi immatériel : « Où va se matérialiser l’incoporel ici ? Dans le disque dur ? Les électrons ? » (M. VIVANT et J.-M. BRUGUIÈRE, Droit d’auteur et droits voisins, 4ème éd., Dalloz, coll. Précis, spéc. n°429, p. 449, au sujet des « créations online »).

Le « support » employé, aussi exotique soit-il, ne devrait cependant pas bousculer les principes véhiculés par le Code de la propriété intellectuelle car il a au contraire vocation à les renforcer.

Ainsi,  par exemple, selon certains auteurs (P. SIRINELLI et S. PRÉVOST, « L’art numérique et la manière », Dalloz IP/IT 2021, p. 173), l’artiste toujours pourrait exercer son « droit de suite » organisé par l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle qui permet aux auteurs « d’œuvres originales graphiques et plastiques » de percevoir un pourcentage du prix de vente du support des ses œuvres.

La technologie employée, la blockchain, ne relève pas (seulement ?) du snobisme : le NFT émis peut s’inscrire dans un smart contract pour organiser, et surtout contrôler, ce droit de suite qui serait automatisé. L’artiste peut donc jouir de son œuvre dans les critères qu’il définit : il peut ainsi programmer des prélèvements automatiques afin de percevoir le pourcentage du prix de revente.

Par le truchement de cet exemple, on comprend donc que c’est à l’artiste lui-même de définir le contenu du NFT, les possibilités peuvent donc être nombreuses.

On observe enfin que pour l’artiste, l’objet du NFT est également de donner de la valeur à son œuvre en utilisant le procédé technique. L’utilisation de la technologie blockchain a des fonctions probatoires qui ont été amplement commentées : traçabilité, certification, horodatage. Cette technologie permet donc de rapporter la preuve d’antériorité de l’œuvre.

4 – Intérêt de détenir le jeton : Si l’on met de côtéles vertus de ce procédé pour les artistes, l’on se demande donc quel est l’intérêt de détenir un NFT pour l’acquéreur ? Au regard des précédents développement, on ne saurait se tromper en affirmant que le NFT est donc une traduction de la rareté et, sans galvauder le terme, de l’ « authenticité » dans le monde numérique.

Cela permet au détenteur du jeton d’établir un lien avec l’auteur et avec l’œuvre. Nous ne saurions avancer les raisons exactes, autres que spéculatives, poussant l’acquéreur à vouloir nouer ce lien, cette question tient davantage à la philosophie qu’au droit. Nous observons cependant que les collectionneurs paient parfois des sommes importantes pour acquérir des biens, matériels certes, mais qui n’ont rien d’unique … Les enfants les premiers s’arrachent des cartes à collectionner qui sont pour la plupart dépourvues de valeurs et de rareté car éditées en de nombreux exemplaires.

Le cas des NFT traduit donc un changement de pardigme : les œuvres immatériels n’ont pas nécessairement moins de valeur lorsqu’elles sont dépourvues de support physique.

Toutefois, cette philosophie trouve parfois ses limites dans la contrefaçon de l’œuvre par des tiers : certaines personnes mal intentionnées ont vendu des jetons d’œuvres dont elles n’étaient pas les auteurs.

5 – Fiscalité :  Le Trésor Public s’intéresse bien entendu à la tokenisation de l’économie et donc aux revenus générés par les NFT, et particulièrement sous le prisme des plus-values réalisées par leurs détenteurs. 

En raison de ses caractéristiques, le jeton NFT échapperait très vraisemblablement à la qualification d’actif numérique au sens de l’article L. 54-10-1 du Code monétaire et financier car il ne représente pas « un ou plusieurs droits » (En ce sens, A. BARBET-MASSIN, F. FLEURET, A. LOURIMI, W. O’RORKE et C. PION, Droit des crypto-actifs et de la blockchain, Lexis Nexis, coll. Droit & Professionnels, 2020, spéc. n°681 et n°682), d’une part, et n’a pas de fonction de « moyen d’échange », d’autre part : le régime des plus-values sur actifs numériques mentionnées à l’article 150 VH bis ne pourrait pas être mobilisé.

Antérieurement à la Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 introduisant ce régime des plus-values sur actifs numériques, le Conseil d’État avait considéré que le régime des  plus-values sur biens meubles s’appliquait (CE, 8e et 2e ch., 26 avr. 2018, n°417809 ; Dr. fisc. 2018, n° 24, comm. 298, concl. R. Victor, note M. Collet ; JCP E 2018, 1323, note Th. Bonneau ; Dalloz IP/IT 2018, p. 431, obs. F. Douet).

Les deux régimes présentent chacun leurs avantages :

Plus-values sur actifs numériquesPlus-values sur biens meubles
 – Flat-tax : impôt forfaitaire au taux de 30%.

– Exonération des cessions dont la somme des prix n’excède pas 305 € au cours de l’année d’imposition.   
 – Exonération des plus values de cessions dont le montant est inférieur à 5.000,00 €.

– Imposition fixée au taux de 36,2%.

– Abattement forfaitaire selon la durée de détention.

En sus, ce pose la question de savoir si les bénéfices réalisés l’ont été à titre habituel et sont donc « considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l’application de l’impôt sur le revenu » au sens de l’article 34 du Code général des impôts.

Comme souvent dans la crypto-économie, les questions sont nombreuses.  Notre cabinet d’avocat peut vous assister et vous aider à résoudre les nombreuses problématiques juridiques que posent les NFT et les crypto actifs.

Vous pouvez nous joindre :

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