Maître Amaury AYOUN est avocat au Barreau de Marseille et Docteur en droit. Auteur d’une thèse sur le Taux effectif global, il exerce principalement en droit des affaires et en droit bancaire.
La justice française se prononce rarement sur les cryptomonnaies. On se rappelle encore d’un arrêt du Conseil d’État dans lequel ce dernier avait qualifié le bitcoin de bien meuble incorporel et en avait déduit que l’imposition des profits tirés de leur cession occasionnelle relevait du régime des plus-values sur biens meubles (CE, 8eet 2ech., 26 avr. 2018, n°417809 ; depuis voy. L. n° 2018-1317, 28 déc. 2018, art. 41, introduisant un art. 150 VH bis du Code général des impôts).
Le 26 février 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a rendu un jugement dans lequel il se prononce sur la nature d’un prêt en Bitcoin. (T. com, 26 févr. 2020, aff. n°2018F00466 ; Lexbase Hebdo éd. affaires 2020, n°628, 19 mars, comm. J. Lasserre Capdeville ; RLDI 2020, n°168, mars, note G. Marraud des Grottes ; Revue Banque 2020, n°843, avr., obs. S. Oudjhani-Rogez ; LEDB 2020, n°4, avr., obs. N. Mathey).
Selon ce jugement, le Bitcoin est qualifié de bien fongible et consomptible :
- « Fongible» car il est « de » même espèce et de même qualité » en ce sens que les BTC sont tous issus du même protocole informatique et qu’ils font l’objet d’un rapport d’équivalence avec les autres BTC permettant d’effectuer un paiement au sens où l’entend l’article 1291 ancien du code civil, devenu l’article 1347-1 du même code. »
- « Consomptible» car il est consommé « » consommé » lors de son utilisation, que ce soit pour payer des biens ou des services, pour l’échanger contre des devises ou pour le prêter, tout comme la monnaie légale quand bien même il n’en est pas une ».
Aussi un contrat de prêt de Bitcoin est un prêt de consommation au sens de l’article 1892 du Code civil selon lequel « le prêt de consommation est un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge par cette dernière de lui en rendre autant de même espèce et qualité ».
LES FAITS
Les faits jugés par le tribunal de commerce étaient les suivants : une société de conseil en matière financière et dans le domaine des crypto-monnaies avait ouvert un compte sur une plateforme d’échanges de Bitcoins et s’était notamment fait consentir par la société détentrice de la plateforme trois contrats de prêt en Bitcoin pour un total de 1.000 Bitcoins (BTC), avec intérêt au taux de 5%.
Dans les faits d’espèce, le prêt en Bitcoin consenti avait eu lieu avant la scission du protocole Bitcoin (« hard fork » du 1eraoût 2017) ayant créé une seconde branche dans le protocole et donné naissance au Bitcoin Cash. À l’époque, chaque propriétaire d’un Bitcoin est devenu propriétaire d’un Bitcoin Cash.
Un contentieux était né entre la société de conseil (l’emprunteur) et la plateforme de d’échange (le prêteur). La seconde formulait une demande reconventionnelle tendant à la restitution des 1.000 BTC et de 1.000 Bitcoin Cash (BCC) distribués le 1eraoût 2017 lors du « hard fork ».
LA PORTÉE DU JUGEMENT
Le jugement qualifie le prêt de Bitcoin de « prêt de consommation » au sens des articles 1892 et suivants du Code civil. Ce prêt ne doit bien entendu ne pas être confondu avec le crédit à la consommation accordé par les établissements de crédit et visé aux articles L. 312-1 et suivants du Code de la consommation …
La qualification de prêt de consommation emporte un régime spécifique dont les règles sont décrites par le Code civil.
Nous pouvons exposer deux incidences principales de cette qualification :
La première incidence est expliquée à l’article 1893 du Code civil qui dispose que « l’emprunteur devient le propriétaire de la chose prêtée ; et c’est pour lui qu’elle périt, de quelque manière que cette perte arrive. ». Le transfert de propriété a un effet notable : il emporte le transfert des risques liés à la possession de la chose. Le nouveau propriétaire, l’emprunteur, perçoit les « fruits » des Bitcoins empruntés, et notamment d’autres cryptomonnaies acquises avec.
En l’espèce, le prêteur prétendait obtenir les fruits, 1.000 BCC distribués le 1eraoût 2017 et avait donc prétendu au contraire que le Bitcoin était un bien meuble incorporel non consomptible car, selon lui, « il ne se détruit pas par l’usage et non fongible car il est individualisé par un code informatique unique ». Hypothèse réfuté par le tribunal de commerce de Paris donc, qui jugea que l’emprunteur n’était pas débiteur de 1.000 BCC.
Le tribunal observe encore au sujet de cette problématique, l’absence de clause encadrant ce cas figure : « le tribunal observe que les CGU (…) comme les 3 contrats de prêt signés entre les parties aux dates susvisées, ne comportent pas de clause quant à l’attribution d’éventuelles crypto-monnaies issues de » hard forks « , alors même que les parties sont des professionnelles averties du marché des crypto-monnaies ».
La seconde incidence figure à l’article 1902 du Code civil qui dispose quant à lui que « L’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu.».À charge donc pour l’emprunteur de 1.000 BTC de rendre 1.000 BTC au prêteur (ce qui avait bien été fait en l’espèce …), peu importe la hausse ou la baisse de la crytomonnaie.
En l’espèce, même si ce n’était pas vraiment la problématique puisque l’emprunteur avait bien remboursé, notons que la précision est d’importance puisqu’ un Bitcoin Cash est valorisé aux alentours de 200,00 euros tandis que le Bitcoin originaire est valorisé aux alentours de 7.000,0 euros (avril 2020) …
Aussi, en vertu de l’article 1902 du Code civil, l’emprunteur qui a emprunté 1.000 Bitcoin doit rembourser 1.000 BTC, et non pas des Bitcoin Cash. Il doit en effet restituer les choses prêtées, « en même quantité et qualité » !
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