[Droit immobilier] Réforme du droit des expulsions locatives, qu’apporte vraiment la Loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 ?

Maître Amaury AYOUN est avocat et Docteur en droit et intervient en droit immobilier à Marseille, et notamment en procédure d’expulsion locative.

Les objectifs de la Loi dite « Kasbarian » n° 2023-668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite paraissent explicites jusque dans les intitulés de ses chapitres :

  • Chapitre Ier : Mieux réprimer le squat.
  • Chapitre II : Sécuriser les rapports locatifs.
  • Chapitre III : Renforcer l’accompagnement des locataires en difficulté.

En effet, la proposition de Loi datant d’octobre 2022 avait été motivée par « la médiatisation constante des squats et litiges de loyers », qui témoignait « de la forte émotion que suscitent chez [les] concitoyens ces exemples d’incivilité et d’injustice vécues au quotidien. ».  On observe d’ailleurs que le troisième chapitre est apparu au cours des débats parlementaires.

Malgré son plan pédagogique, la Loi est destinée à un public averti, dont les subtilités ont parfois échappé aux commentateurs non juristes. D’ailleurs, les différents objectifs assignés à la Loi ne semblent pas vraiment atteints par ses dispositions très superficielles.

I – DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL : LE PROPRIÉTAIRE EST-IL RÉELLEMENT TENU D’INDEMNISER UN SQUATTEUR LORSQUE SON BIEN N’EST PAS ENTRETENU ?

La décision du Conseil constitutionnel n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023 qui a déclaré l’article 7 de la Loi contraire à la constitution avait notamment donné lieu à de mauvaises interprétations, à tel point que le Conseil constitutionnel a rédigé un communiqué pour les infirmer.

L’article 7 souhaitait modifier l’article 1244 du Code civil et le compléter par un nouvel alinéa ainsi rédigé : « L’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier libère son propriétaire de l’obligation d’entretien du bien de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien pendant cette période d’occupation. En cas de dommage causé à un tiers, la responsabilité incombe dès lors à l’occupant sans droit ni titre du bien immobilier. Le bénéfice de l’exonération de responsabilité mentionnée au présent alinéa ne peut s’appliquer lorsque les conditions d’hébergement proposées par un propriétaire ou par son représentant sont manifestement incompatibles avec la dignité humaine, au sens de l’article 225-14 du code pénal. »

Concrètement, la modification envisagée était une réponse à la décision de la Cour de cassation rendue le 15 septembre 2022[1] que nous avions commenté, et qui avait suscité une forte médiatisation.

Dans la décision en question, la Cour de cassation avait confirmé  la condamnation du propriétaire par les juges du fond à indemniser son ancienne locataire (devenue après résiliation de son bail, occupante sans droit ni titre) de ses préjudices, sur le fondement de l’article 1244 (ancien article 1386) du Code civil. En effet, l’article 1244 du Code civil fait peser sur le propriétaire une responsabilité de plein droit liée à la seule propriété de l’ouvrage en ruine. S’agissant d’une responsabilité de plein droit, la Cour avait considéré qu’il n’était pas possible de rapporter la faute de la victime qui s’était maintenue dans les lieux et occupait les lieux sans droit ni titre.

 Aussitôt, une proposition de Loi  « visant à libérer le propriétaire d’un bien immobilier squatté de toute obligation d’entretien », avait été rédigée pour compléter l’article 1244 du Code civil qui causait le malheur des propriétaires de logements occupés sans droit ni titre. 

La proposition avait donc fait son chemin jusqu’à l’article 7 de la présente Loi dont l’objet est donc d’exonérer de sa responsabilité le propriétaire d’un logement occupé illicitement en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien.

Cependant, pour le Conseil constitutionnel, l’article 7 est contraire à la Constitution. 

Le Conseil constitutionnel rappelle l’objet de l’article 1244 du Code civil qui faisait l’objet de la modification censurée : « En instituant un régime de responsabilité de plein droit en cas de dommage causé par la ruine d’un bâtiment (…) le législateur a entendu faciliter l’indemnisation des victimes », ce qui est incontestable.

L’article 4 de la Déclaration de 1789 dispose que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Dans son considérant 68, le Conseil constitutionnel en déduit qu’ « il résulte de ces dispositions qu’en principe, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle. ». Le Conseil constitutionnel précise ensuite, et c’est tout l’objet de son raisonnement, que le législateur peut « apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs (…)[1]». 

La question qui se posait était donc la suivante : la nouvelle exonération de responsabilité du propriétaire d’un logement occupé illicitement en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien était-elle proportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs ?

Aux yeux du Conseil constitutionnel, l’exonération était disproportionnée aux droits des victimes d’obtenir réparation du préjudice résultant du défaut d’entretien d’un bâtiment en ruine, et cela en raison d’une rédaction trop généreuse. 

En effet, il n’était pas exigé que la cause du dommage trouve son origine dans un défaut d’entretien imputable à l’occupant sans droit ni titre, ni que le propriétaire ait à démontrer que le comportement de cet occupant a fait obstacle à la réalisation des travaux de réparation nécessaires. 

Par ailleurs, le propriétaire était exonéré à l’égard de l’occupant sans droit ni titre, mais également à l’égard des tiers. Imaginons par exemple le garde corps du bien non entretenu qui tomberait sur un passant dans la rue … 

Pour le Conseil constitutionnel, il était inconcevable que le tiers victime ne puisse se retourner que contre l’occupant sans droit ni titre, « dont l’identité n’est pas nécessairement établie et qui ne présente pas les mêmes garanties que le propriétaire, notamment en matière d’assurance. ». 

La rédaction empreinte de réalisme de ce considérant a suscité comme souvent en matière de squat un émoi médiatique. Dans son communiqué du 29 juillet 2023, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs rappelé que la censure était seulement motivée par « la nécessité que (…) demeurent protégés les droits des tiers victimes de dommages. », en n’excluant pas que le législateur aménage la répartition des responsabilité entre le propriétaire et l’occupant illicite.

En tout état de cause, à l’issue de cette décision, la portée de l’article 1244 du Code civil reste donc inchangée et protège le plus grand nombre des bâtiments en ruine en permettant aux victimes de rechercher la responsabilité du propriétaire, généralement assuré, comme l’observe le Conseil constitutionnel …  

On suppose sans difficulté que le texte sera remanié pour proposition au Parlement. En attendant, le propriétaire pourrait en effet toujours indemniser un squatteur sur le fondement de l’article 1244 du Code civil …

II – L’ARSENAL PÉNAL CONCERNANT LE SQUAT ET LA PROTECTION DU DOMICILE :

Dans son intention de « mieux réprimer le squat », la Loi introduit un nouveau chapitre dans le Code pénal « De l’occupation frauduleuse d’un local à usage d’habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel ».

Le nouvel article 315-1 du Code pénal prévoit désormais que l’introduction illicite et le maintien dans un logement d’habitation sont tous deux punis de deux ans d’emprisonnement et d’une amende d’un montant de 30.000,00 euros.

Le nouvel article 315-2 prévoit quant à lui que le maintien sans droit ni titre dans un local à usage d’habitation après une décision de justice définitive et exécutoire (et après commandement régulier de quitter les lieux depuis 2 mois) est puni de 7500 euros d’amende. La disposition ne s’applique pas toutefois lorsque l’occupant bénéficie de la trêve hivernale[1], lorsque le juge de l’exécution est saisi de demandes de délais sur le fondement de l’article L. 412-3 du Code des procédures civiles d’exécution[2]  ou lorsque le logement appartient à un bailleur social ou à une personne morale de droit public.

L’infraction visée par l’article 226-4 du Code pénal est désormais sanctionnée par une peine de trois ans d’emprisonnement, contre un an auparavant,  et par une amende d’un montant de 45 000 euros d’amende.

À la différence du nouvel article 315-1 du Code pénal, l’article 226-4 vise spécifiquement l’occupation illicite du domicile d’autrui et non un logement vide. Les auteurs de la Loi avaient fait observer que les peines antérieures étaient bien inférieures à celles encourues par les personnes qui expulsaient personnellement les squatteurs de leur domicile sans recourir à la force publique. 

Toujours au sujet de la protection du domicile, la notion concerne désormais également « tout local d’habitation contenant des biens meubles lui appartenant, que cette personne y habite ou non et qu’il s’agisse de sa résidence principale ou non ».

L’autre aspect notable de la protection du domicile est la modification de l’article 38 de la Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 permettant au Préfet de procéder à l’évacuation forcée du squatteur.  Celui-ci n’intervient en effet qu’après dépôt de plainte, justification de la propriété ou du domicile, et constat de l’occupation illicite. 

Désormais, l’occupation illicite d’une résidence principale comme d’un local à usage d’habitation, peut être constatée par Commissaire de Justice, et non plus seulement par le Maire de la commune ou un officier de police judicaire.  L’introduction des Commissaires de Justice dans cette procédure devrait accélérer l’intervention du Préfet.

Par ailleurs, si par malheur le propriétaire ne peut apporter la preuve de son droit en raison de l’occupation, « le représentant de l’Etat dans le département sollicite, dans un délai de soixante-douze heures, l’administration fiscale pour établir ce droit ».

Enfin, afin de lutter contre le commerce du squat, un nouvel article 226-4-2-1 du code pénal puni d’une amende d’un montant de 3750 euros la propagande ou la publicité visant à faciliter ou à inciter l’introduction illicite dans un logement. Les peines de l’article 313-6-1 du Code pénal répriment également plus sévèrement la location du bien d’autrui, pratique fréquente des marchands de sommeils.

On doute toutefois que tout cet arsenal pénal véhicule véritablement l’effet dissuasif escompté. Il est peu probable en effet que les « squatteurs » lisent le Journal Officiel quotidiennement et ne se préoccupent pas d’autre chose qu’avoir un toit sur la tête[1] …  

III – LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE D’EXPULSION DU LOCATAIRE

La nouvelle Loi ne traite pas que de la question des squatteurs et entend accélérer les procédures d’expulsion des locataires en cas de loyers impayés. Les médias entretiennent d’ailleurs souvent la confusion entre les deux situations.

En premier lieu, la clause résolutoire est désormais obligatoire dans tous les contrats de baux d’habitation. L’idée pour le législateur est de faciliter la résolution des baux en la faisant figurer dans tous les contrats et ainsi sécuriser les bailleurs. À vrai dire, cette avancée est tout à fait superfétatoire. Non seulement, la plupart des bailleurs utilisent des modèles qui comportent systématiquement la clause résolutoire, mais encore, l’application de la clause résolutoire reste soumise à l’appréciation du juge qui peut constater que les conditions de la clause ne sont pas réunies. 

C’est aussi bien mal connaître le contentieux locatifs, car dans certains cas (plus ou moins) complexe il est plus prudent de demander la résiliation du bail et ne pas demander l’application de la clause résolutoire devant le juge des référés qui pourrait facilement y déceler des contestations sérieuses.

La nouveauté la plus remarquable de cette Loi est à nos yeux la modification des délais d’exécution de la clause résolutoire :

  • La clause résolutoire produit désormais effet que 6 semaines après un commandement de payer demeuré infructueux, contre 2 mois auparavant.
  • L’assignation aux fins de constat de la résiliation est notifiée au Préfet 6 semaines avant l’audience, contre 2 mois auparavant.

Nous pouvons cependant pas prévoir si ces modifications de délais auront une influence sur ceux de la Justice dont les rôles sont déjà très encombrées par les litiges locatifs. Les bailleurs peuvent désormais espérer obtenir une date d’audience de référé à 3 mois contre 4 auparavant. 

Ici encore, nous nous interrogeons sur l’utilité de recourir à la procédure de référé qui implique la délivrance d’un commandement infructueux et diverses notifications allongent nécessairement les délais d’audiencement …

Par ailleurs, le Législateur retouche les dispositions relatives aux demandes de délais de grâce du locataire.

Désormais, le bailleur et le locataire peuvent aussi, et non plus seulement le juge saisi d’office, solliciter des délais de paiement,  à la condition nouvelle, « que le locataire soit en situation de régler sa dette locative et qu’il ait repris le versement intégral du loyer courant avant la date de l’audience ». Cette nouvelle condition, limite le pouvoir d’appréciation du juge et se veut être une prime à la bonne foi du locataire. Si l’idée de départ est louable, elle pourrait également être l’instrument de torture des locataires de bonne foi, qui subiraient par exemple un retard de paiement par la CAF, un accident de la vie, ou un litige sérieux avec un propriétaire de mauvaise foi. 

Dans le même ordre d’idée, « les effets de la clause de résiliation de plein droit peuvent être suspendus pendant le cours des délais accordés par le juge » dans les mêmes conditions, la suspension prenant fin « dès le premier impayé ou dès lors que le locataire ne se libère pas de sa dette locative dans le délai et selon les modalités fixés par le juge ».

Enfin, l’article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution est modifié. L’article concerne la réparation de l’État qui refuse prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. En effet, le concours de la force publique peine parfois à intervenir lorsque le bailleur a fini par obtenir une décision de justice prononçant l’expulsion de son locataire. Le concours de la force publique fait suite à une réquisition présentée par Commissaire de justice au Préfet[1]. En cas de refus, l’État doit donc indemniser le propriétaire. 

Il semblait toutefois, selon le rapport n°1010 de M. Guillaume Kasbarian  au nom de la Commission des affaires économiques que cette indemnisation n’avait rien de systématique, et le montant des indemnisations était fixé par voie amiable après négociations entre les services préfectoraux et le propriétaire, ce qui pouvait entrainer des inégalité de traitement.

Aussi, une nouvelle disposition figure désormais à cet article « Les modalités d’évaluation de la réparation due au propriétaire en cas de refus du concours de la force publique afin d’exécuter une mesure d’expulsion sont précisées par décret en Conseil d’Etat. ». À ce jour, le Décret n’a pas encore été publié.

IV – L’ACCOMPAGNEMENT DES LOCATAIRES EN DIFFICULTÉ :

Enfin, le législateur déploie deux axes de réflexion pour accompagner les locataires en difficulté :

  • Il renforce le rôle et les prérogatives de la Commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX).
  • Inversement il étend au Préfet et à la CCAPEX la faculté de saisir le juge pour que soit octroyé ou suspendu un accompagnement social personnalisé.

Dans les deux cas on observe toutefois la sévérité de cet accompagnement. La CCAPEX a désormais un pouvoir de décision quant au maintien ou non des aides personnelles au logement en cas d’impayés locatifs.

***

En définitive, après étude, nous nous montrons assez réservés sur l’atteinte des objectifs de cette Loi qui tendait à mieux réprimer le squat, sécuriser les rapports locatifs et renforcer l’accompagnement des locataires en difficulté.

Est-il bien nécessaire de faire une Loi à chaque fois qu’une décision de justice est commentée par les médias ? Nous en doutons !

Notre cabinet d’avocat à Marseille intervient en matière immobilière afin d’obtenir l’expulsion des locataires et squatteur et le règlement des loyers dans le ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, et particulièrement auprès des juges des contentieux de la protection près des tribunaux judicaires de Marseille, Aubagne, Martigues et Aix-en-Provence.

Nous vous invitons à nous joindre par mail (avocat@amauryayoun.com) et par téléphone (04 84 25 40 95) afin que nous fixions rendez-vous ou répondions à vos éventuelles interrogations.


[1] art. R. 153-1 Code des procédures civiles d’exécution  


[1] Voy. notamment J. RIVERO, « Sur l’effet dissuasif de la sanction juridique », Mélanges offerts à Pierre Raynaud, Dalloz, 1985, p. 676


[1] Article L. 412-6 du Code des procédures civiles d’exécution.

[2]  Lequel article ne s’applique plus lorsque les occupants se sont introduits dans les lieux de façon illicite.


[1] « (…) ainsi qu’au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789 »


[1] Cass. civ 2ème, 15 sept. 2022, n°19-26.249, inédit, D. 2022, p. 1917, obs. N. Reboul-Maupin ; La lettre juridique Lexbase, n°922, 27 oct. 2022, note M. Dupré

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