[Droit bancaire] Caution solidaire libérée d’une saisie rémunération en raison de l’action tardive de la banque : « durée du prêt » et caractère accessoire de la caution.

Maître Amaury Ayoun est avocat au Barreau de Marseille et exerce principalement en droit bancaire. Il assiste notamment les cautions solidaires dont le recouvrement est recherché par leur banque.

Notre cabinet a récemment obtenu une nouvelle victoire pour une caution solidaire d’un crédit immobilier (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, ch. 1-9, 29 juin 2023, n°2023/480).  L’arrêt revient assez classiquement sur l’irrecevabilité des demandes tardives de la banque et de manière plus inédite sur la notion de durée du prêt.

A – LES FAITS :

Par acte notarié de 2006, un associé d’une SCI s’était porté caution solidaire d’un contrat de prêt accordé à ladite société.

En 2013, la caution cédait ses parts de la SCI, en raison d’une grave mésentente avec son associé également caution solidaire.

Sans le savoir, il ignorait qu’il était toujours engagé en qualité de caution.

Le 22 juin 2015, la banque informait la caution solidaire de la déchéance du terme, la caution apprenant ainsi que les échéances n’étaient plus réglées par la SCI …

Depuis cette date, il n’a plus jamais eu de nouvelle de sa banque.

Par requête du 4 janvier 2021, la banque avait saisi le juge de l’exécution près le tribunal judiciaire compétent d’une demande de saisie en rémunérations pour un montant en principal de 120 096.04 euros correspondant à des sommes non réglées par la SCI. Elle sollicitait encore une saisie rémunération portant sur les frais et accessoires et des intérêts courus au taux de 4,5% à compter du 17 septembre 2018.

La demande n’avait pas manqué de surprendre la caution qui croyait l’affaire terminée. 

B – LA PROBLEMATIQUE :

Or, la banque justifiait avoir mené de nombreuses diligences toutes ces années, diligences susceptibles d’interrompre la prescription.

En effet, la banque avait adressé un commandement valant saisie à la SCI le 9 mai 2016, dont l’effet se serait prolongé jusqu’au 11 décembre 2018, et croyait avoir touché ainsi la caution solidaire dans les effets interruptifs. La banque avait ensuite tenté une saisie attribution le 1er juillet 2020, avant de déposer sa requête en saisie en rémunérations le 4 janvier 2021.

Cependant, la banque oubliait les clauses de son propre contrat : le contrat de caution mentionnait que la « caution est engagé pour la durée du prêt majorée de deux ans ». La durée du prêt était elle-même définie comme suit dans le contrat : « la durée totale du prêt comprend la durée de l’amortissement, et en sus la durée de la période de franchise ou de différé. ».

A nos yeux, donc, la banque ayant prononcé la déchéance du terme le 22 juin 2015, l’amortissement et donc le prêt a pris fin le 22 juin 2015. En effet, dès lors qu’il n’y a plus d’amortissement, et que les sommes sont exigibles en raison de la déchéance du terme, il n’y a plus de sommes prêtées, et il n’y a donc plus de prêt. Or, la caution est engagée pour « la durée du prêt (…) ». Le prêt n’a donc duré que du 13 janvier 2006 au 22 juin 2015.

En conséquence, la caution n’était théoriquement engagée que jusqu’au 22 juillet 2017, soit « la durée du prêt majorée de deux ans », sous réserve des interruption de prescription.

Selon la Cour de cassation, la clause qui fixe un terme au droit d’agir du créancier institue un délai de forclusion (Cass. com., 26 janv. 2016, n° 14-23.285). Cet arrêt invitait à ne pas confondre la prescription du titre exécutoire et la forclusion résultant de l’extinction de l’obligation contractuelle qu’il constate.

C – LA SOLUTION DE LA COUR :

En première instance, le juge de l’exécution avait admit que la clause litigieuse était bien une clause de forclusion conventionnelle mais avait affirmé que « le terme du délai pour agir conféré à la banque contre M. X, caution personnelle et solidaire du prêt consenti le 13 janvier 2006 pour une durée de 384 mois doit ainsi être fixée au 13 janvier 2038. »  ( ! )

La Cour d’appel elle considérait que la durée du prêt était sa durée réelle :

« Le cautionnement étant un contrat accessoire, la prescription de l’obligation qui en découle ne commence à courir que du jour où l’obligation principale est exigible.

Dans la clause rappelée ci dessus, les parties, usant de leur liberté contractuelle ont cependant souhaité prolonger dans le temps, l’obligation de la caution par rapport à celle du débiteur principal. La motivation du prêteur pour souhaiter cette clause, n’est pas indiquée. On peut envisager que ce soit pour lui donner un peu plus de délai pour agir contre la caution. Quoiqu’il en soit, pour définir la portée à donner sur la terminologie “la durée du prêt”, cette durée n’est pas purement théorique et figée en son ampleur au jour de la signature du prêt.

En effet, comme le soutient monsieur X, on ne peut retenir qu’un prêt continue à courir, à s’exécuter, alors que la déchéance du terme a été prononcée et qu’elle a rendu exigibles le capital restant dû, les intérêts et les frais à l’égard de l’emprunteur, tenu à payer immédiatement ces sommes, tandis que la caution, elle, serait obligée jusqu’au terme initialement stipulé donc en l’espèce, 30 ans plus tard. Car c’est bien l’exigibilité de la dette principale qui provoque l’obligation à payer de la caution, et ce sans attendre 30 ans. »

Selon la Cour, c’est l’exigibilité de la dette de la SCI qui provoque l’obligation de payer de la caution. 

Ainsi, la caution était en théorie engagée jusqu’au 22 juillet 2017. Restait toutefois pour la Cour à étudier la question des interruptions de prescription ou de forclusion.

C’est ici que notre analyse diverge avec la Cour, bien que l’arrêt soit à l’issue très favorable à la caution.

La Cour d’appel a reconnu que la durée de deux ans est un délai de forclusion, « non susceptible d’interruption et qui privera le créancier de son action une fois ce temps écoulé ». Paradoxalement, elle soutient ensuite que « A ce titre s’agissant d’un délai de forclusion il n’est pas susceptible de suspension mais d’interruption par certains actes d’exécution dirigés à l’encontre du débiteur principal. »

La Cour considérait ensuite que le délai de forclusion avait ensuite été interrompu depuis 2015 par un commandement valant saisie à la SCI le 9 mai 2016, dont l’effet se serait prolongé jusqu’au 11 décembre 2018.

Une tentative de saisie attribution avait eu lieu le 1er juillet 2020 mais, selon la Cour l’acte « ne permettant pas de vérifier si une dénonciation a été faite » à la caution.

Ainsi, lorsque la banque avait déposé sa requête en saisie en rémunérations le 4 janvier 2021, elle était tardive puisque le délai de 2 ans courrait depuis le 11 décembre 2018, soit jusqu’au 11 décembre 2020.

La banque était donc irrecevable dans ses demandes, son action en recouvrement étant forclose depuis le 11 décembre 2020.

Toutefois, à nos yeux, le raisonnement ne méritait pas d’être aussi poussé car le délai de forclusion n’est pas susceptible d’interruption suite aux actes d’exécution dirigés à l’encontre du débiteur principal.

En effet, l’article 2245 alinéa 1er du Code civil dispose que « L’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers. ». 

Cet article 2245 ne vise que la prescription et n’est donc pas applicable à la forclusion. C’est pourquoi le commandement de payer valant saisie immobilière de 2016, et la procédure de saisie qui s’en est suivi a seulement interrompu la prescription de la caution solidaire (art. 2245 C. civ.). 

La Cour pourtant saisie de la question n’y a pas répondu et emprunté une autre voie tout aussi victorieuse pour la caution solidaire. 

En matière de saisie rémunération, il est finalement assez fréquent que la banque agisse tardivement, cela s’expliquant par les méthodes d’exécution forcées des commissaires de justice, qui opèrent de plusieurs manières afin d’obtenir le règlement des sommes dues. 

Dans le cas d’espèce, les commissaires de justices avait d’ailleurs commencé par saisir le bien immobilier de la SCI, avant de tenter des saisies attribution des comptes de la caution solidaire, qui avait été mise de côté pendant près de 6 ans …

Maître Amaury Ayoun, avocat au Barreau de Marseille, conseille et défend les cautions solidaires en employant les nombreux moyens de défense (irrecevabilités, disproportion de l’engagement, formalisme, mentions manuscrites, violation des devoirs de mise en garde).

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